[Billet invité] Voici pourquoi Donald Trump va gagner l’élection américaine…

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Ce billet prémonitoire a été rédigé le jour meme des élections par un lecteur du blog, immigré africain en Europe et Sociologue de métier.

Aujourd’hui 8 novembre 2016, les américains vont choisir le 45è Président de leur de l’histoire. Grâce à sa personnalité peu ordinaire et à son comportement ‘politiquement incorrect’, Mr Trump a fait de cette campagne électorale la plus atypique de l’histoire de ce pays. Donné pour n’avoir aucune chance dès le départ, de nombreuses personnes si elles ne sont pas devant leurs écrans ce soir, se réveilleront avec ce Mr élu Président du pays le plus puissant au monde.

Tout à fait par hasard, je m’étais retrouvé aux États-Unis au début de l’étape des primaires. D’ailleurs seule la diabolisation dont-il était victime dans les médias à cette époque comme pendant toute la campagne, m’avait prévenu de me rendre à l’un de ses meetings qui s’était tenu à Washington DC, pas loin de l’endroit où je résidais alors. Pourtant je devais m’apercevoir plus tard que son discours avait un écho particulier dans une franche de la société américaine qui manifestait cependant une certaine gêne à l’exprimer ; peut-être justement à cause de la personnalité de leur champion. Je n’ai donc pas été surpris de le voir triompher des primaires puis résister à la machine démocrate et aux défections dans son propre camp et finalement apparaître gagnant dans de plus en plus de sondages.

À mon avis, les raisons de la popularité de Donald Trump, « contre et malgré tous », sont à chercher dans les contradictions de la société américaine, à la fois riche et pauvre ; forte et faible ; blanche et multiethnique ; riche d’opportunités en même que parsemée de pièges. Trump, aimé par le petit peuple de blancs mais haï par l’establishment blanc, vomi par les hispaniques et peu apprécié par les africains américains et pourtant toujours en bonne position pour gagner l’élection, est le fruit de cette contradiction fondamentale. Voici les conditions et les facteurs qui ont permis l’émergence de ce qu’il convient peut-être de nommer la trumpmania.

Une Amérique fondée sur les symboles

Comme Alexis de Tocqueville, ce français qui tira avantage d’un séjour de quelques années aux États-Unis pour écrire un livre De la démocratie en Amérique (1835), devenu un classique de la science politique et de la sociologie politique, mais plus modestement, je fonde l’essentiel des réflexions qui suivent sur des observations empiriques que j’ai effectué il y a un an exactement au pays de l’oncle Sam (l’oncle des français bien sûr).

J’ai vécu aux USA entre Juin et Novembre 2015. Un séjour de six mois qui m’a permis de toucher du doigt, à ma manière, la réalité de cette superpuissance planétaire dont l’influence est perceptible dans les plus lointains recoins du monde. Ce pays m’a fasciné autant qu’il m’a répugné. De Pittsburgh (the city of Bridges) à New York (the financial heart of the world) en passant par Washington D.C ( le siège des institutions les plus puissantes du monde) j’ai apprécié la grandeur de ce pays qui s’est hissé au premier rang des nations en moins de 400 ans (ils sont indépendant depuis 1776) seulement. Tous les autres pays du top dix des nations les plus riches, les plus industrialisées et les plus influentes (qu’il s’agisse du Japon, de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Russie ou même de la Chine) existent dans leurs formes contemporaines depuis bien plus longtemps, pour certains depuis 1000 ans. Aujourd’hui quand je me retrouve à Paris ou à Londres j’ai l’impression, pour donner une image, d’être parti de Douala pour Mbouda mon village natal. 4 siècles seulement auront donc suffit aux américains pour construire la société la plus riche de l’histoire de l’humanité. Pour y parvenir, ils ont du puiser dans des réservoirs aussi bien matériel que symbolique.

Sur le plan matériel, les américains ont sans relâche célébré le travail.

Le travail d’abord illicite ou plutôt immoral (l’esclave) puis licite avec la sacralisation de la propriété privée et une sorte de «décomplexion » de l’enrichissement (exactement ce que les chinois font depuis Deng Xiaoping). Et il ne s’agit là que d’un des aspects de la dimension symbolique de la réussite de l’Amérique en tant que pays.

Le symbole le plus accompli de ce que j’appelle le miracle américain (ne jamais oublier que c’est une ancienne colonie et que contrairement aux pays comme la France, l’Angleterre, l’Espagne…, les États-Unis n’ont jamais eu de colonies) est « l’American Dream », cette idéologie d’une société ouverte dans laquelle tout est possible par la seule force du travail. Évidemment, le sociologue de formation que je suis sais mettre des gants quand il faut parler des idéologies sans perdre pied avec la réalité des structures sociales qui généralement les démente. Néanmoins, ce qui est important ici c’est la capacité d’attraction qu’exerce cette idéologie du rêve américain aussi bien chez les américain eux-mêmes que chez des millions d’habitants de notre planète prêts à abandonner pays et villages, femmes et enfants pour aller aux USA vivre leur part de rêve. Pour ceux qui parviennent à y aller, leur american dream, ils le vivent souvent uniquement dans leurs rêves.

Ce qui m’amène aux Gray areas (zones d’ombres) de cette société, championne de la fabrique de l’ouvrier emploi-jeté. Une chose en effet m’a frappée pendant mon court séjour américain. C’est une société en permanence en mouvement ; en tout cas sur le plan démographique. De nouvelles classes ouvrières semblent régulièrement succéder à d’autres plus anciennes et pas parce que les dernières ont bénéficié d’une ascension sociale. Plutôt le contraire ; les anciennes classes ouvrières semblent tout d’un coup, ‘miraculeusement’ frappées d’une impotence au travail et deviennent la risée du reste de la société qui les traite de « fainéant », « paresseux », « délinquant », « drogué », « criminel »…etc. La construction sociale de ceux-ci comme inutiles à la société permet ainsi justifier l’importation d’une nouvelle classe laborieuse d’autres régions du monde sans avoir à affronter le problème de fond que pose cette ‘subite incapacitation’. Pour qu’on se comprenne, revenons à la traite négrière.

À la question de savoir pourquoi c’est en Afrique que les esclavagistes venaient s’approvisionner, les livres d’histoire nous répondent que les indiens d’Amérique étaient trop faibles et peu résistants au travail manuel et qu’en ce qui concerne précisément le travail physique, le nègre d’Afrique n’avaient pas d’équivalent sur terre. À peine un siècle plus tard c’est exactement le discours contraire qu’on entend dans les rues de New York ou de Houston. Le noir américain (l’africain américain) dont l’ancêtre est l’esclave africain d’hier y est décrit comme un fainéant bon à rien, faible et peu résistant au travail. Ceux qui ont été aux États-Unis savent combien il est difficile à un noir américain d’obtenir un job dans un restaurant, sur un chantier ou partout où une certaine endurance physique est nécessaire face à un latino (sud-américain) dont l’ancêtre indien était peu endurant aux yeux des esclavagistes ou face à un immigré africain. La question fondamentale est la suivante : comment le vaillant nègre d’hier, apprécié par les trafiquants d’êtres humains du siècle passé pour ses qualités génétiques exceptionnelles (l’endurance au travail et la force physique notamment) est devenu le fainéant incapable de l’Amérique postmoderne ?

Car, décrire l’africain américain d’aujourd’hui ainsi, n’est pas une simple vue de l’esprit, une autre banale construction sociale des mauvais camarades( « folks devils ») dans une société américaine qui serait en proie à une panique morale endémique. Le problème est réel. J’ai personnellement vu des milliers d’africains américains détruits par des drogues de synthèses ; j’ai vu des dizaines d’adolescents africains américains perdus dans ce que j’appelle l’homoprostitution (c’est-à-dire des garçons vendant des services sexuels à d’autres garçons plus âgés) sur North Capitol Street, North West à washington D.C et ailleurs. L’ironie du sort c’est que c’est à la Martin Luther King Junior Library de Washington D.C, le plus emblématique lieu de mémoire du pays dédié au leader historique de la lutte pour les droits civiques, que l’essentiel de ces ‘moins que rien’ de la capitale américaine semblait avoir élu domicile.

La réponse à la question est à mon avis simple. Autant le modèle économique américain produit des biens et des services qu’il faut acheter encore et toujours, comme le Iphone 7 après le 6 et avant lui le 5, autant la société américaine produit des ouvriers que l’exploitation économique finit par castrer pour reprendre un terme populaire au Cameroun ces jours-ci. Le mécanisme qui aboutit à cette castration complète (c’est-à-dire physique autant que symbolique) d’une génération quasi entière de la classe ouvrière autrefois endurante et à en faire des être socialement et économiquement inutiles, nécessitant d’être remplacés, reposent sur des mécanismes complexes. Leur étiologie complète nécessiterait un livre entier. Retenons simplement pour l’instant que comme le précédent Iphone tombe en désuétude et est remplacé par le nouveau, la classe ouvrière d’hier est remplacée par un nouveau bataillon d’ouvriers, plus frais et juteux comme des oranges ne demandant qu’à être pressées.  C’est ainsi que l’esclave africain affranchi a été remplacé au panthéon de l’ouvrier modèle par les survivants des famines qui ont sévi en Irlande au milieu du 19è siècle ; les irlandais eux-mêmes (peut-être les seuls ouvriers à avoir connu une mobilité ascendante) seront remplacés par l’immigration mexicaine. Ceux-ci, aujourd’hui encore sont tenus par de nombreux américains (Trump y compris) pour responsables d’une bonne partie des maux du pays : grande criminalité, trafique de drogue, prostitution organisée… ; leur éviction de la classe laborieuse a été comblée d’abord et partiellement par l’immigration chinoise puis par celles des pays plus pauvres d’Amérique latine (du Sud) notamment le Guatemala et le Honduras. Les mexicains, comme les africains américains ont aujourd’hui peu de chance d’obtenir un boulot peu qualifié aux USA s’ils sont en compétition avec leurs compatriotes sud américains de ces pays là. Si ceux-ci (guatémaltèques et honduriens) semblent incarner la figure modèle de la classe laborieuse de l’Amérique d’aujourd’hui, les africains subsahariens candidats à leur part de rêve américain sont d’ores et déjà prêts à les remplacer. Les entreprises du Fortune 500 (le top 500 des entreprises les riches d’Amérique) le savent. Elles attendent juste qu’il n’y ai plus rien à tirer de nos amis sud-américains pour réorienter la politique migratoire du pays et la mettre au service de la captation de cette main d’œuvre affamée et donc bon marché, mais surtout impatiente de faire son entrée dans le monde de la consommation ultime.

Comment donc cette contradiction fondamentale a-t’elle créée la figure de Mr Trump ? ou plutôt que représente t’il, à la fois, aux yeux de ces millions d’américains prêts à faire de lui leur président pour les quatre années à venir et aux yeux de ceux qui le haïssent au point dire qu’ils brûleront passeport et documents de nationalité s’il emportait l’élection ? ma réponse est que Trump représente, malgré lui, à la fois le meilleur et le pire de l’Amérique, forte de son rapport au travail, à sa rationalisation et de son incitation à la réussite personnelle ; mais faible de son antipathie pour ceux qui n’y parviennent pas, peut-être précisément parce qu’il ne leur à jamais été donné les moyens d’y parvenir. Car si dans l’Amérique contemporaine les classes laborieuses changent régulièrement, et souvent les classes moyennes se colorient de nouvelles composantes ethniques, ce qui n’a pas changé au fil des siècles, c’est la structure du grand capital dans laquelle fond la vraie élite de la société américaine. Ces entreprises ou fonds d’investissements qui possèdent des parts dans des dizaines d’autres entreprises elles mêmes appartenant à d’autres entreprises dont peut-être seuls les agents des impôts (espérons-le) connaissent les vrais propriétaires. Comment expliquer autrement que 10% de la population possède plus de 50% des richesses du pays ?

Donald Trump par sa réussite économique représente donc cette success story à l’américaine. Ses apologètes lui sont gré d’avoir réussi par son travail, son sens des affaires et ses efforts personnels. Leur admiration pour lui tient à ce qu’il représente leur idéal de l’Amérique, cette fameuse société peut être singulière sur Terre en ce qu’elle offrirait des possibilité d’ascension sociale qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Cet idéal prend une forme prospective chez les jeunes et rétrospective chez les plus âgés. Les premiers espèrent profiter d’une Amérique « made great again » dans laquelle leur propre ascension sera possible tandis que les seconds caressent le rêves de la léguer aux générations à venir. Mais les supporteurs de Mr Trump ont une autre caractéristique en commun : leur dédain pour les classes laborieuses, ces millions de petites mains que leur pays a importé, utilisé et jeté, et qui végètent aujourd’hui dans toutes sortes de déviance, des plus passives aux plus violentes. Comme leur champion, ils considèrent que le problème de l’Amérique c’est le clandestin mexicain, le barbu musulman, le délinquant africain américain, l’immigré chinois…etc. dont la déportation résoudra tous les problèmes du pays.

Le paradoxe tient ici à ce que la réussite de Donald Trump autant que leur stagnation sociale est précisément le fruit de ce système qui fabrique l’ouvrier à emploi-jeté. En tant qu’entrepreneur, lui il a bénéficié du travail peu payé de celui-ci pour augmenter ses marges. Comme membres de la classe moyenne, eux ils ont vu leurs salaires stagner pendant que le coût de la vie explosait précisément parce que ces ouvriers importés étaient utilisés pour exercer une pression permanente à la baisse sur les salaires.

Au demeurant, Trump gagnera (c’est mon pronostique) ou perdra selon que cette Amérique de la contradiction saura ou non neutraliser le bon sens dont Descartes avait gratifié tous les êtres humains. Si Trump est déclaré vainqueur demain matin c’est que la majorité des électeurs est parvenue à la mettre en sourdine. S’il est vaincu c’est que le bon sens aura triomphé devant l’urne. Néanmoins, ma conviction est que rien ne changera fondamentalement, quelque soit le vainqueur de cette élection, dans l’Amérique de l’après 9 novembre 2016 ; Surtout pas la fabrique industrielle de l’ouvrier emploi-jeté.

© Dany Franck Tiwa, Londres le 8 Novembre 2016

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