Voici une question apparemment simple, qui m’est venue à l’esprit suite à une conversation téléphonique: pourquoi beaucoup choisissent de rester travailler en Europe après leurs études plutôt que de retourner en Afrique? Il se trouve que dans quelques mois, je serais fraichement diplômé de mon école de Management. Et comme vous vous en doutez, je suis actuellement en pleine réflexion sur l’orientation à donner à ma vie professionnelle et à ma carrière. Hé bien! Comme J’en discutais tout récemment avec une vieille connaissance restée en Afrique, cette dernière a tenté par tous les moyens de me dissuader de l’idée d’un éventuel retour au pays natal. Etant donné les nombreux obstacles politico-administratifs et financiers auxquels j’allais devoir faire face en Afrique, il était préférable pour moi de rester en Occident. Et quelles que soient les conditions de vie ici, elles étaient forcément meilleures qu’en Afrique.
Celà a suscité en moi plusieurs interrogations : Pourquoi cette différence de perception? Pourquoi aux yeux des Africains l’Europe est forcément meilleur que l’Afrique ? Et comment l’Afrique se développera t-elle si les africains formés en Occident ne rentrent pas faire profiter le continent de leurs connaissances ? Y a t’il un moyen de stopper l’hémorragie de la fuite des cerveaux en Afrique? La réponse à toutes ces questions à mon avis est simple : la plupart des africains ne réfléchissent pas sérieusement au sens à donner à leur travail. Alors que ceux restés en Afrique assimilent encore le travail à une contrainte destinée à satisfaire leurs besoins de base, ceux en Europe opposent en permanence le confort « apparent » de l’occident à l’instabilité africaine. En d’autres termes, trop de personnes sur le continent africain en sont encore à travailler uniquement pour satisfaire les besoin vitaux : manger, boire, se vêtir, avoir un toit. La plupart des Etats d’Afrique font face à un chômage important, et sont face à une jeunesse désœuvrée à qui ils sont incapables d’offrir un travail décent. Par conséquent, beaucoup de diplômés n’ont alors pour seuls choix que d’effectuer des emplois de survie (dans le secteur informel très souvent) ou d’émigrer vers l’occident où les besoins de base sont comblés depuis belle lurette. Mais que se passe t’il une fois les besoins de base comblés ?
Le psychologue Abraham Maslow, après une étude sur le comportement humain de 1939 à 1943, a défini sa très célèbre hiérarchisation des besoins humains, dans le but de déterminer les leviers de la motivation. Son raisonnement était qu’un besoin supérieur ne peut apparaitre chez un être que quand les besoins inférieurs sont comblés. Maslow classait les besoins humains en 6 grandes catégories, que moi je réduit à deux : les besoins matériels, et les besoin ultimes.
Les 3 niveaux de base des besoins matériels
Niveau 1: La Survie
Travailler pour la satisfaction des besoins primaires immédiats, voire « animaux », comme la nourriture, l’air, le sommeil, les médicaments…
Niveau 2: La Sécurité
Travailler pour assurer sa sécurité; fonder un foyer, épargner et investir pour les besoins futurs.
Niveau 3: La Liberté
Travailler afin d’assurer l’autosuffisance et le choix indépendant de ses actions. En d’autres mots, travailler jusqu’à ce qu’on n’aie plus besoin de travailler pour la survie ou pour la sécurité.
Ces trois niveaux constituent une explication tout à fait raisonnable de la plupart de nos activités, mais c’est aussi là que les choses deviennent intéressantes: que se passe t’il quand les gens ont assez de ressources pour faire ce qu’ils veulent? A quoi ressemble le «niveau 4» ? Tous les individus ne cherchent pas à atteindre ce derniers niveaux. Beaucoup en restent aux deux premiers, et ne s’imaginent même pas ce que seraient leurs vies s’ils avaient assez d’argent pour vivre sans « être obligés de travailler ». C’est le cas de la plupart des immigrés qui sont satisfaits du train-train quotidien de leur vie occidentale.
Niveau 4: Après les besoins de base, vient la motivation principale
Regardez les individus comme Warren Buffett , Steve Jobs, Roman Abramovitch ou Madonna (pour ne citer que quelques milliardaires les plus connus). Chacune de ces personnes a assez d’argent pour vivre tout le restant de ses jours sans avoir besoin de travailler de nouveau – ils pourraient arrêter demain et vivre de leurs économies à perpétuité. Ils ont tellement d’argent que même leurs descendances sur dix générations au moins pourraient vivre sans travailler. Cependant, pour une raison quelconque, ils n’arrêtent pas pas – ils continuer à travailler. Et ils ne sont pas les seuls. Pourquoi donc?
En réfléchissant à cette question, je pense que les gens qui atteignent le niveau 3 de « Liberté » font un choix (que ce soit explicitement ou implicitement) de ce pour quoi ils continuent de travailler. Ce choix tourne finalement autour de ce que la personne valorise le plus : le pouvoir, le statut social, le plaisir, la création ou l’excellence…
# 1: L’autocrate
La principale motivation de l’autocrate est le pouvoir et le contrôle. Le comportement commun aux autocrates est la recherche d’influence ou de contrôle sur la vie et les actions d’autres personnes. Exemples: les hommes d’affaires et politiciens comme Henry Paulson (secrétaire américain au Trésor) ou bien La famille Bongo ( rois héritiers chefs d’états gabonais).
# 2: le narcissique
La principale motivation du narcissique est l’attention et la gloire. le comportement commun aux narcissiques est la recherche de l’attention et l’estime des autres. Ils agissent toujours de façon à recevoir plus d’attention de la part des autres. Exemples: les célébrités comme Britney Spears ou Samuel Eto’o.
# 3: L’hédoniste
La principale motivation de l’hédoniste est le plaisir et la jouissance des biens matériels. Le comportement commun à ceux-ci est : l’acquisition continuelle des biens, des voitures et vêtements de luxe, des maisons et des villas, et les voyages exotique. Exemples: Mme Mugabe (1ere dame du Zimbabwe), Mohammed bin Rashid Al Maktoum (cheikh de Dubaï), et Teodorin Obiang Ngema (fils du président de Guinée Equatoriale).
# 4: l’architecte
La motivation première de l’architecte est la création de quelque chose de nouveau ou de remodeler le monde. Les architectes ont en commun l’établissement d’une vision de ce à quoi le monde «devrait» ressembler, puis la poursuite ininterrompue de projets qui, selon eux, rapproche le monde de cet idéal. Exemples: Mo Ibrahim ( fondateur de Celtel), Muhammad Yunus (le pionnier du micro-crédit en Inde), Steve Jobs (CEO d’Apple), et des politiciens comme Ellen Johnson-Sirleaf (présidente du Liberia), Ron Paul, et Al Gore .
# 5: L’artisan
La principale motivation de l’artisan est le perfectionnement et la jouissance de son œuvre. Le comportement commun aux artisans est l’exercice continuel et l’amélioration d’un ensemble de compétences spécifiques ou l’utilisation de ces compétences en tant que moyen d’expression de soi. En clair, ils travaillent sans cesse à être le meilleur dans leurs domaines, et y prennent du plaisir. Exemples: Zinedine Zidane (footballeur), Warren Buffett (Investisseur et PDG de Berkshire Hathaway), et Steven Spielberg (réalisateur américain).
Pourquoi est-il important de trouver sa motivation principale?
Voici mon hypothèse: une fois que l’on identifie notre principale motivation dans la vie, il devient beaucoup plus facile pour nous d’atteindre nos objectifs où que l’on soit. Ces motivations primaires semblent relativement universelles, et sont basés sur de très profonds besoins psychologiques. En d’autres mots, il est plus facile d’obtenir ce que nous voulons vraiment, si nous déterminons à l’avance ce que nous voulons vraiment. On peut avoir des combinaisons diverses de plusieurs motivations, mais au fond, nous avons tous chacun une personnalité dominante.
Ainsi, je pense que ceux qui retournent Afrique aujourd’hui et parviennent à se réintégrer sans problème, ce sont des gens appartenant à la dernière catégorie : les artisans. C’est à dire des travailleurs idéalistes, qui ne sont plus soumis aux besoins de bases mais qui ont à coeur de bien faire leur travail et uniquement leur travail. Tous les autres seraient forcément déçus ou frustrés en cas retour. Parmi les africains vivant à l’étranger et ayant choisi d’y rester définitivement, il y a les autocrates, qui choisissent de se focaliser sur la politique, la liberté d’expression, et émettent en permanence des critiques contre la mauvaise gouvernance en Afrique. Du coup, ils deviennent aux yeux des régimes locaux dictatoriaux des ennemis à éloigner et vice-versa. Il y a les narcissiques, qui sont toujours durement affectés par l’incompréhension ou l’indifférence de certaines personnes qui sont restés au pays; les hédonistes qui ont à faire face à la jalousie (attitude encore très présente dans la société africaine); les architectes, qui subissent le sabotage de ceux hostiles aux changements.
Voilà à mon avis la plus grande cause de la fuite des cerveaux : Le refus (ou le rejet) de la pluralité des caractéristiques individuelles dans les sociétés africaines. Ces personnalités personnalités diverses trouvent plus facilement leurs places dans les sociétés occidentales.
D’autres idées pour expliquer le non-retour des cerveaux africains?
Je suis heureux de lire des lignes pleins d’enthousiasmes. A vous lire, on sent que vous ne connaissez vraiment pas grande chose à la réalité africaine. Ici, peu importe le travail que vous aurez à accomplir ou que vous accomplissez, les retombées vous ne les verrez jamais. Je suis dans le domaine de la santé, quand il s’agit d’écrire les TDR, Elaborer les documents d’enquêtes on vous laisse participer, sinon vous le faites tout seul. Et quand le moment pour l’enquête arrive on vous oublie parce que le boss a des petites copines ou des neveux sans aucune qualification à qui il veut juste donner de la tune. Resultats, les données de terrain ne sont jamais correctes. Une fois on s’est retrouvé à manipuler des chiffres d’une enquête que nous n’avons même pas fait, et c’est nous qui avons tirer les les conclusions par plusieurs tratctations et procédés qui ne sont pas scientifiques. On fait tout pour que les resultats théoriques coincident avec ceux sur le terrain. C’est à dire onconnait les resultats avant d’aller depenser l’argent des partenaires au developpement.
Cette réalité là n’est qu’un pan de ce qu’on vit. Quand vous retrouvez le plus minable de votre promotion ou le pitre du quartier à occuper des fonctions essentielles pour votre pays, vous ne pouvez pas savoir comment est ce qu’on peut se sentir. Ici, on fait le culte de la médicocrité, il suffit d’avoir un parent bien placé et vous avez réussi même si vous ne le méritez pas. Et la corruption, là il y a matière à debat…
@ Vinou,
Tu décris exactement ce que je dis : trop de personnes en Afrique travaillent sans but précis…sinon celui de « survivre ». Et rassures toi; pour y avoir vécu 20ans de ma vie, je connais très bien les réalités africaines. Beaucoup trop même.
Comme tu le soulignes, les africains ont le culte de la médiocratie…mais est-ce un comportement uniquement africain? Même en France on a vu le fils de Sarkozy occuper des fonctions très au dessus de ses capacités réelles. Et ça ce n’est qu’un exemple, pour dire que l’Homme est avant tout un opportuniste. certaines sociétés ont simplement mis en place des mécanismes avancés pour limiter la casse…et permettre l’émergence d’une certaine méritocratie.
Le problème en Afrique c’est qu’on entends très peu les gens qui réussissent vertueusement. ils restent dans l’ombre ou dans l’anonymat complet et à la place, on ne parle que des autres qui travaillent sans but, sinon celui de « manger ». Pour ces derniers, les partenaires au développement dont tu parles ne sont eux même qu’une source de financement, qu’il faut exploiter comme une vache à lait qu’on trait jusqu’à la dernière goutte.
Si tu ne veux pas être frustré, démissionnes, montes ta propre boite, ou alors va bosser dans une boite dont les valeurs correspondent aux tiennes. Il n’y a pas que la fonction publique et l’aide au développement.
je le trouve très intéressant, ton article…
mais je pense que tu généralises quand tu dis « les Africains »… on parle quand même de millions de personnes qui vivent dans des cultures variées, et ont donc des valeurs diverses. Mon père est Berbère et il n’a rien à voir, culturellement parlant, avec un Arabe, un Bambara ou un Afrikaner.
Tu devrais lire Max Weber. Il a écrit un essai.
A son époque, il s’est aperçu que les Protestants étaient plus riches, en général, que les Cathos en Europe. Il dit que la cause se trouve dans les valeurs des Protestants qui perçoivent « la vocation » – le travail – comme primordial alors que les Cathos avaient tendance (comme beaucoup de Musulmans aujourd’hui) à considérer la vie terrestre comme une peine à supporter « en attendant l’au delà » et qu’ils devaient se consacrer à respecter les lois religieuses.
En se basant sur la parabole des talents, certains Protestants ont interprété que la fructification des biens et du patrimoine sont un devoir divin. C’est en partie ainsi que tu as eu le développement du capitalisme, modèle économique occidental, en particulier anglo-saxon et nordique. D’ailleurs, tu remarqueras qu’aujourd’hui encore, en Occident, les pays européens « du sud » (Italie, Espagne, Grèce) sont moins riches que ceux « du nord » (GB, pays Scandinave, Allemagne)…
Je ne sais pas d’où tu viens mais je pense que tu as raison de retourner dans ton pays pour diffuser des valeurs salutaires qui permettront, espérons, un réveil collectif et un développement conséquent.
@ Syne,
Merçi pour ta remarque.
C’est vrai que je généralise quand je parle d' »africains » au sens large. Mais loin de moi l’idée d’uniformiser tout un continent, avec des cultures si diverses, et si variées. J’ai déjà donné ma définition du mot africain dans un précédent article :
http://immigrechoisi.com/2010/que-signifie-etre-africain/
Etre africain c’est simplement être né en afrique, ni plus ni moins.
Et pour parler de Max Weber, j’ai lu son ouvrage, et j’en parle même ici. En effet, partant du constat selon lequel les pays anglophones (Nigeria, Ghana, Kenya…)sont les plus dynamiques, je met en cause la différence des systèmes administratifs hérités des puissance coloniales.
Pourquoi les africains francophones sont moins dynamiques que les anglophones