Le progrès scientifique et technique est la cause du chômage (Partie 1/2).

Par Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton, et professeur d’économie à l’université de Bekerley (Californie).

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Pour les Etat-Unis, vouloir maintenir ou augmenter la part de la production industrielle dans l’économie n’a aucun sens. Même si l’Amérique fermait ses frontières et interdisait l’entrée de son territoire à tout produit manufacturé en provenance de l’étranger – ce que je ne recommande pas – nous perdrions encore des emplois manufacturiers. La raison principale en est la technologie.

Lorsque l’on pense aux emplois industriels, on a tendance à imaginer les anciennes chaînes de montages servies par des millions de cols bleus dotés d’emplois bien rémunérés et bénéficiant d’avantages sociaux. Mais cette image ne correspond plus à l’industrie. J’ai récemment visité une usine américaine tournant avec deux employés et 400 robots informatisés. Les deux hommes étaient assis devant des écrans d’ordinateur et pilotaient les robots. Dans quelques années, cette usine n’aura plus un seul employé sur place, en dehors des visites occasionnelles du technicien effectuant les réparations et les mises à niveau des robots.

Les emplois industriels sont en train de disparaître dans le monde entier. Même la Chine est en train de perdre les siens. Les Chinois produisent plus dans l’industrie que jamais auparavant, mais ils sont également en train de devenir beaucoup plus efficaces dans ce domaine. Ils ont fermé la plupart des anciennes usines gérées par l’Etat. Les nouvelles usines sont pleines à craquer de machines automatisées et informatisées. En conséquence, ils n’ont pas besoin d’autant de travailleurs dans le secteur industriel qu’auparavant.

Les économistes d’Alliance Capital Management ont étudié l’évolution de l’emploi dans une vingtaine de grandes économies et constaté que, entre 1995 et 2002 – avant la bulle son éclatement – vingt-deux millions d’emplois manufacturiers avaient disparu. Les États-Unis n’ont même pas été les plus grands perdants. Nous avons perdu environ 11% de nos emplois manufacturiers au cours de cette période, mais les Japonais ont perdu 16% des leurs. Même les nations en développement ont perdu des emplois dans leurs usines : le Brésil a subi une baisse de 20%, et la Chine a une baisse de 15%.

Qu’est-il arrivé à l’industrie ? La réponse tient en deux mots : gains de productivité. Lorsque la productivité augmente, l’emploi décline car moins de personnes sont nécessaires. En cela, le secteur manufacturier suit la même tendance que l’agriculture. Il y a un siècle, près de 30% des américains adultes travaillaient dans une ferme. Aujourd’hui, il sont moins de 5%. Cela ne signifie pas que les États-Unis aient échoué en agriculture. Bien au contraire. L’agriculture américaine est un énorme succès. L’Amérique peut produire beaucoup plus qu’il y a un siècle, avec beaucoup moins de personnes. Les nouvelles technologies, des machines plus efficaces, de nouvelles méthodes de fertilisation, l’amélioration des systèmes de rotation des cultures, et des gains d’efficacité à grande échelle ont rendu l’agriculture beaucoup plus productive.

L’industrie connaît une situation semblable. Aux USA et ailleurs dans le monde, c’est un succès. Depuis 1995, alors même que l’emploi manufacturier baissait partout dans le monde, la production industrielle mondiale a augmenté de plus de 30%.

Nous devrions cesser d’avoir la nostalgie de l’époque où des millions d’américains boulonnaient et soudaient ce qui passait sur les lignes de montage. Ces temps sont révolus. Et cessons de blâmer les pays pauvres où les travailleurs reçoivent des salaires très bas. Bien sûr, leurs salaires sont bas, puisque ce sont des pays pauvres. Ils ne peuvent devenir plus prospères qu’en exportant vers les pays riches. Quand l’Amérique bloque leurs exportations par des droits de douanes et des subventions de nos industries nationales, nous les empêchons de progresser. Aider à ce que les pays pauvres deviennent plus prospères va non seulement dans l’intérêt de l’humanité, mais c’est également sage, car cela réduit l’instabilité mondiale.

Vous cherchez un responsable à blâmer ? Prenez-vous en au progrès du savoir et de la technique. C’est lui qui a créé les gadgets électroniques et les logiciels qui peuvent maintenant exécuter presque toute les tâches routinières. Cela va bien au-delà des seules usines. Les USA employaient aussi beaucoup de liftiers, d’opérateurs de téléphonie, de caissiers de banque et de pompistes. Vous-en souvenez vous ? La plupart de ces emplois ont été remplacés par la technologie. Les caissières de supermarché sont remplacées par les scanners automatiques. Internet a supprimé les tâches routinière des agences de voyages, des courtiers immobiliers, des courtiers de bourse, et même des experts-comptables. Avec la numérisation et les réseaux à haut débit, nombre de tâches des emplois de bureau peuvent désormais être réalisées à moindre coût à l’étranger.

Tout travail comportant la moindre routine est en train de disparaître aux États-Unis, mais cela ne signifie pas que avons moins d’emplois. Cela signifie seulement que nous avons moins d’emplois routiniers, y compris dans les industries manufacturières traditionnelles. Lorsque l’économie américaine repartira, de nombreux emplois routiniers ne reviendront pas, mais de nouveaux emplois prendront leur place. Un quart des Américains travaillent aujourd’hui dans des emplois qui ne figuraient pas dans la liste des codes de l’administration en 1967. Technophobes, néo-canuts et autres anti-mondialistes prenez garde : vous êtes du mauvais côté de l’histoire. Vous ne voyez que la perte des vieux emplois. Vous oubliez tous les nouveaux emplois créés.

La raison pour laquelle ils sont si faciles à oublier, c’est qu’une grande partie de la nouvelle valeur ajoutée y est invisible. Un pourcentage croissant de chaque dollar dépensé par le consommateur va vers des gens dont la tâche consiste à analyser, innover et créer. Ces personnes sont responsables de la recherche et du développement, de la conception et de l’ingénierie. Ou des emploi de haut niveau dans la vente, le marketing et la publicité. Ils sont compositeurs, écrivains et producteurs. Ils sont avocats, journalistes, médecins et conseillers en gestion. Je nomme cette activité « analytique symbolique », car la plupart des tâche y relèvent de l’analyse, de la conception et de la communication à travers les chiffres, les formes, les mots, les idées.

Ce travail analytique-symbolique ne peut pas être tenu entre vos mains, comme le seraient des marchandises provenant des usines. En fait, bon nombre de ces tâches sont officiellement classés comme des services plutôt que de la fabrication. Pourtant, sur pratiquement quoique ce soit que les consommateurs achètent aujourd’hui, ils paient plus pour ces sortes de tâches que pour le matériel physique ou l’assemblage. Sur chaque iPod, on peut lire « Conçu par Apple en Californie, assemblé en Chine. » Vous pouvez parier que l’activité de conception de l’iPod reçoit une plus grande part du prix de vente que son assemblage.

Le plus grand défi auquel nous faisons face sur le long terme – au-delà de la dépression – n’est pas de savoir comment faire revenir l’industrie. Le plus grand défi, c’est de parvenir à améliorer les revenus de cette armée toujours grandissante de travailleurs américains à faibles revenus qui occupent des emplois de services à la personne dans les hôtels, les hôpitaux, les supermarchés, des chaînes de restauration, et toutes les autres entreprises qui ont besoin de travailleurs, mais pas de hautes qualifications. J’y reviendrai.
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Article original : ICI.

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