Le capitalisme est-il moral?

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Manhattan, symbole du capitalisme à l’américaine.

« Le capitalisme est-il moral? » est une synthèse de plusieurs conférences données par André Comte-Sponville sur la question de l’éthique dans les affaires. Ce dernier pose une question qui nous concerne tous, qui me concerne plus particulièrement en tant qu’entrepreneur, et en tant que cadre ayant exercé l’essentiel de mon expérience professionnelle dans des multinationales à la réputation pas toujours limpide. Aucun d’entre nous n’échappe ni à la morale ni au capitalisme.

Le capitalisme c’est un système économique qui sert, avec de l’argent, à faire davantage d’argent. Dans un pays capitaliste, l’argent va d’abord aux plus riches et non à ceux qui en auraient le plus besoin, les plus pauvres.

On voit que le capitalisme est loin de correspondre à ce que voudrait spontanément la morale. Mais alors, cela veut-il dire qu’il est immoral ? Ce n’est pas si simple. Il y a toute une série de phénomènes qui ne sont ni moraux ni immoraux.

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A qui la faute si les pauvres sont pauvres et les riches sont riches?

 Distinguer les questions d’ordre scientifiques des questions l’ordre morales.

Alternant exemples, anecdotes, citations et analyses, André Comte-Sponville excelle dans son livre à démontrer que le capitalisme est, par nature, amoral. Une entreprise n’a pas vocation à distribuer de l’affection de l’amour ou tout autre sentiment : elle n’a que « des objectifs et un bilan », point final. Dans toute société humaine, existe quatre domaines ou, comme dirait Pascal, quatre ordres différents: l’ordre technico-scientifique, l’ordre juridico-politique, l’ordre moral, et l’ordre éthique.

D’abord, l’ordre techniquo-scientifique, est structuré intérieurement par l’opposition de ce qui est possible et de ce qui est impossible. La science économique en fait partie, tout comme la biologie ou la physique. Les sciences se contentent de définir ce qui est techniquement possible (ou impossible), et c’est tout.

Ensuite, l’ordre juridico-politique, structuré intérieurement par l’opposition du légal et de l’illégal. c’est la loi, l’État. Le législateur peut par exemple interdire certaines manipulations génétiques, en définissant ce qui est légal (ou illégal). Mais la loi ne définit que des limites, et on peut tout à fait être ce que l’auteur appelle « un salaud légaliste », sans aucun égard pour les autres.

Troisièmement, l’ordre de la morale, structuré intérieurement par l’opposition du devoir et de l’interdit. Ce qui limite le deuxième ordre, pour éviter que la démocratie soit sans limites (ce qui serait la dictature du peuple), ce sont les exigences morales. Elles s’ajoutent à la loi du point de vue des individus : « la conscience d’un honnête homme est plus exigeante que le législateur ; l’individu a plus de devoirs que le citoyen ».

Enfin, l’ordre éthique : l’ordre de l’amour. Comte-Sponville distingue volontairement ce synonyme de « morale » pour lui donner un sens précis. Si la morale c’est ce qu’on fait par devoir, l’éthique c’est ce qu’on fait par amour.

Un croyant peut ajouter ensuite l’ordre surnaturel, l’ordre divin, mais Comte-Sponville s’y refuse, et affirme clairement son athéisme.

Ainsi donc, vouloir absolument que le capitalisme soit moral, ou même qu’il le devienne, ce serait vouloir que l’ordre techno-scientifique se soumette à l’ordre de la morale, ce qui paraît exclu par leur type respectif de structuration interne. Les sciences n’ont pas de morale. Même si « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme disait Rabelais. « Prétendre que le capitalisme devrait être moral n’a pas de sens. En effet, le possible et l’impossible n’en ont rien à cirer du bien et du mal. (…) Imaginez la réaction d’un physicien qui vous expliquerait la grande équation d’Einstein, E=mc², et à qui vous objecteriez que cette équation n’est pas morale puisqu’elle fait exploser des bombes atomiques. Ce physicien vous répondrait que vous ne parlez pas de la même chose! Dans l’ordre économico-techno-scientifique, rien n’est jamais moral ni immoral. Tout y est plutôt amoral car la morale n’a rien à faire ici. A la question : Le capitalisme est-il moral ? je réponds donc évidemment non puisqu’il ne le peut pas ! Conséquence, si nous voulons qu’il y ait une morale dans une société capitaliste, celle-ci doit venir d’ailleurs que du système. »

L’erreur de Marx et plus largement des communistes/socialiste, a été de vouloir associer les deux premiers ordres. Les systèmes marxistes sont ainsi devenus totalitaires en voulant forcer à la vertu un système qui ne peut obéir qu’à ses propres lois. il ne peut pas répondre à des questions d’ordre moral, telles que « quelles limites pour les OGM ? pour les manipulations génétiques ? La gestation pour autrui? ».De même, l’économie est une science, mais elle ne peut pas répondre à une question telle que « le cours du cacao est-il décent ? »

Quant au « péché originel » du capitalisme, c’est sans doute son fonctionnement à l’égoïsme. Car le capitalisme contrairement au socialisme repose sur une règle simple: « que chacun poursuive son propre intérêt et tout ira pour le mieux dans la société« . Seulement, cette règle de base qui constitue son péché originel d’un point de vue moral, est aussi sa principale vertu d’un point de vue économique. C’est justement parce que le capitalisme fonctionne à l’égoïsme qu’il fonctionne si bien ! Comme disait Adams Smith, ce n’est pas de la bienveillance du boulanger que nous attendons notre pain, mais plutôt du soin qu’ils apporte à la recherche de son propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à son humanité, mais à son égoïsme. C’est parce qu’il n’a pas envie de perdre ses clients qu’il s’emploiera a faire le meilleur pain qui soit.

La tyrannie des ordres.

Lorsqu’un ordre donné se soumet à un ordre inférieur, c’est ce qu’on peut appeler la « barbarie » : vouloir soumettre le politique ou le droit à l’économie ou aux sciences, c’est aller vers une tyrannie du marché ou une tyrannie des experts. Soumettre la morale à la politique ou au droit, c’est la barbarie du militant ou du juge. La soumettre à la démocratie, ce serait une barbarie démocratique. Soumettre l’amour à la morale, c’est la dictature de la vertu, Saint-Just ou Khomeyni. Il pourrait même, pour les croyants, y avoir une barbarie éthique : soumettre Dieu à l’amour des hommes, la transcendance à l’immanence…

L’autre tentation, l’inverse, c’est l’angélisme : vouloir annuler le plus bas au nom du plus haut. Angélisme politique ou juridique : prétendre annuler les contraintes économiques, techniques, scientifiques au nom de la politique ou du droit. Angélisme moral : vouloir résoudre la misère par les Restos du cœur, les problèmes d’immigration par l’action humanitaire. Angélisme éthique : l’idéologie « peace and love » des baba cool des années 70. Angélisme religieux : la croisade, la charia. Mais aussi Lénine, Trotsky, Staline.

Chacun de nous est dans les quatre ordres à la fois.

Parfois, les exigences des ordres convergent, et tout va bien.

Si elles divergent, il faut faire des choix. C’est là qu’entre en jeu la responsabilité.

Et la responsabilité caractérise une personne et non un groupe, ce qui fait dire à Comte-Sponville que l’éthique d’entreprise n’a pas de sens. Un patron peut être « sympa » ou non, les lois qui s’appliquent à son entreprise restent les lois du marché. Il NE PEUT PAS y avoir de morale de l’entreprise, même s’il DOIT y avoir de la morale dans l’entreprise. L’entreprise qui prétend respecter ses clients, et les servir au-dessus de tout, sert d’abord ses actionnaires.

La solidarité qui fonde les systèmes de protection sociale est intéressée ; elle se distingue de la générosité, qui s’applique à un individu désintéressé.

Plus des individus sont nombreux dans un groupe humain (entreprise par exemple), plus agit la « pesanteur » qui les fait aller vers le bas au sens de la hiérarchie des ordres.

Un individu peut agir à l’encontre de cette pesanteur, mais il reste limité dans son action : un patron qui crée des emplois crée surtout de la richesse pour ses actionnaires, puis ses clients et enfin ses employés : si son entreprise n’est pas rentable, les emplois disparaîtront.

Conclusion : le capitalisme est le moins pire des systèmes.

Le capitalisme a toujours été critiqué. Ça ne l’a pas empêché de survivre et de prospérer.
La première critique du capitalisme a été celle de l’Eglise au cours du XIXe siècle. C’est aussi au XIXe siècle, vers 1848, que Marx a rédigé Das Kapital, première contestation radicale du capitalisme. Aujourd’hui, début du xxIe siècle, le fonctionnement capitaliste est critiqué à trois niveaux : par les consommateurs, c’est une critique d’ordre pratique sur la qualité des produits et les prix ; par les actionnaires, ce sont des critiques financières, plus récentes mais qui enflent désormais avec les scandales financiers à répétition ; par les altermondialistes, qui le remettent violemment en cause mais, cette fois, sans débouché idéologique construit.

D’une certaine manière, la critique morale du capitalisme est une donnée permanente de son fonctionnement. On pourrait donc dire de lui ce que Churchill disait de la démocratie : « Le pire de tous les systèmes à l’exception de tous les autres. »

4 Commentaires Le capitalisme est-il moral?

  1. Emma

    Bonne analyse même si je ne suis pas d’accord avec la conclusion. 😉 Je m’inscrirais plutôt dans la logique foucaldienne concernant le capitalisme. 😛

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      1. Emma

        oui monsieur lol. tu n’as qu’à regarder la théorie critique de Foucault qui rejette le capitalisme et y voit un instrument utilisé pour reproduire l’aliénation.

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