« Le meilleur des mondes » : vers quel avenir allons-nous?

Le Meilleur des Mondes

Je viens de terminer la lecture du « Le meilleur des mondes ». C’est un de ces ouvrages qui peut être présenté comme une vision pessimiste du futur de la société de consommation que nous vivons actuellement. Dans ce roman visionnaire écrit en 1932, l’écrivain anglais Aldous Huxley imaginait une société qui utiliserait les progrès scientifiques et techniques pour le conditionnement et le contrôle des individus. Il ne s’agit pas uniquement d’un roman de science-fiction mais aussi une métaphore très juste de la société actuelle. Dans cette société imaginaire décrite par le roman, tous les enfants sont conçus dans des éprouvettes. Ils sont conditionnés génétiquement dès la naissance et psychologiquement tout au long de leur vie pour appartenir à l’une des 5 catégories de population. De la plus intelligente à la plus stupide: les Alpha (l’élite dirigieante), les Bétas (les exécutants), les Gammas (les employés subalternes), les Deltas et les Epsilons (destinés aux travaux pénibles). Chaque individu en raison de son conditionnement génétique, estime être dans une position idéale dans la société, de sorte que nul n’envie une caste autre que la sienne, contribuant à l’objectif ultime de tout le système social : la stabilité. Le « meilleur des mondes » décrit dès lors aussi ce que serait la dictature parfaite: une dictature qui aurait toutes les apparences de la démocratie, une prison sans murs ni barreaux dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage mental où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves « auraient l’amour de leur servitude »… Ce livre, sans doute un des livres les plus importants et les plus remarquables du XXeme siecle dans son domaine, m’a particulièrement frappé par sa description très juste de l’évolution de la société occidentale. C’est  un « must read » pour tous ceux qui s’intéressent a l’organisation de la société, et au delà pour tous ceux qui cherchent a donner un sens a leur vie au sein même de cette société.  Car c’est l’avenir même d’Huxley que nous sommes en train de vivre et non celui de George Orwell.

Oppression extérieure ou intérieure?

George Orwell était un autre écrivain visionnaire, qui avait en sont temps imaginé ce que serait la civilisation occidentale à son apogée. Dans sa célèbre fiction « 1984 » rédigée en 1948, il décrit un monde utopique où le contrôle et la surveillance généralisée d’un État totalitaire s’incarnent dans un personnage ineffable rentré dans le language courant. Le fameux « Big Brother ». Son roman est l’une des plus célèbres dénonciation littéraire du totalitarisme, de la société de surveillance et de la réduction des libertés.  Lorsqu’on on imagine l’évolution (ou la décadence) de la société actuelle à l’extrême, que l’on pense à la NSA, l’affaire Snowden, à Wikileaks, à la surveillance d’internet ou à la lutte contre le terrorisme….la première image qui nous vient en tête est que nous nous dirigions vers monde quasi carcéral dirigé par un pouvoir centralisé fort ou tout le monde surveille tout le monde, un univers à la Kafka, ou à la « 1984 » de George Orwell. Ce dernier prévoyais en effet que nous courrons le risque d’être écrasés par une oppression externe, un pouvoir tout puissant.

Big-Brother-Is-Watching-You-Surveillance-Is-Security

Pourtant, je dirais que la vision de Huxley est bien plus effrayante et plus proche de la réalité. Contrairement à celle d’Orwell où la peur, la haine, la méfiance, et toute sorte de sentiments négatifs permettent au pouvoir central de maintenir la population sous contrôle, Huxley décrit plutôt un monde où c’est la jouissance, le plaisir, la facilité qui permettent cela. Comme je le disais déjà dans un précédent billet au sujet des illuminati, nul besoin de pouvoir central pour contrôler et bloquer qui que ce soit. Pas besoin de bloquer l’accès aux livres, les gens arrêteront de toutes façons d’en lire grâce à toute les autres distractions qu’on leur proposera. Pourquoi chercher à cacher la vérité? Il vaut mieux qu’elle soit noyée au milieu de tout un tas de futilités. La chercher, ce serait comme de chercher une aiguille dans une botte de foin; perdue qu’elle est dans un flot d’informations continu. Pas besoin de priver les gens de culture et d’éducation, ils s’en priveront eux même si on leur autorise certaines fausses libertés, si on trouve le bon « opium ». « Panem et circenses! » disaient déjà les romains en leur temps. Dans « le meilleur des mondes », Huxley nous prévient que les défenseurs des libertés et de la raison, qui sont toujours en alerte pour s’opposer à la tyrannie, « ne tiennent pas compte de cet appétit quasi insatiable de l’Homme pour les distractions ». Sa force tient en fait a la fois dans la dénonciation d’une societe dystopique et inhumaine, mais aussi dans l’attrait que cette évolution exerce sur notre société sans en évaluer toutes consequences. Tout est dans l’ambiguïté. Le Meilleur des mondes est une réflexion sur le bonheur. Le bonheur est-il une fin en soi? La technologie est-elle suffisante pour faire notre bonheur? Est-on heureux quand on fait ce pour quoi on est né?

Pour conclure ce long billet, voici quelques citations:

« -Et c’est là, dit sentencieusement le Directeur, en guise de contribution à cet exposé, qu’est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu’on est obligé de faire. Tel est le but du conditionnement: faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. »

« Les primevères et les paysages, fit-il observer, ont un défaut grave: ils sont gratuits. L’amour de la nature ne fournit de travail à aucune usine. « 

« On ne peut pas consommer grand-chose si l’on reste tranquillement assis à lire des livres. »

« –  Mais je n’en veux pas du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché.

–  En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d’être malheureux. »

2 Commentaires « Le meilleur des mondes » : vers quel avenir allons-nous?

  1. Hecta

    En effet, on se rapproche dangereusement de la société décrite par Huxley.

    Et j’aimerais que l’Afrique observe ce qui se passe dans le reste du monde et fasse soigneusement la différence entre ce qui relève du développement et ce qui est partie intégrante de la société occidentale.

    Se débarrasser des croyances irrationelles, du fanatisme et du fatalisme religieux, oui. Mais ne pas placer la rationalité logico-mathématique au centre de la société et sur un piedestal.

    Ne jamais se risquer à mettre en doute le « sacré » de la vie humaine, c’est à dire ne pas classer les hommes comme si leur seul aspiration dans la vie étaient d’être des être productifs.

    En faisant de ces principes des absolus, l’Afrique peut redéfinir ce qu’est le développement, une progression infinie vers un idéal qui place l’humain au centre de toute ses préoccupations et non la course après des chiffres pas toujours pertinents.

    Et pour l’instant, j’ai l’impression que ça se déroule bien. 🙂
    Merci Néo.

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  2. Béa

    Merci Neo, je viens de découvrir ton blog. Et j’y trouve bien des sujets de réflexion. concernant « Le meilleur des Mondes » Je vais le relire. J’avais 18 ans lors de ma première lecture. Une trentaine la deuxième. 50 ans c’est pas mal pour une troisième lecture. On a pas le même recule. Ceci dit il ne faut pas oublier dans cette société si « parfaite » le grain de sable, l’individu hors de la norme qui remet tout en question… Bien amicalement.

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