Il y a quelques semaines, une amie partageait sur son mur Facebook un article de presse sur les compagnies aériennes et leurs pratiques commerciales. De là, est née une discussion sur les mécanismes de fixation des billets d’avions par les compagnies aériennes; qui s’avèrent pour le commun des mortels être aussi obscures que les trois noirs. Mon travail actuel consistant essentiellement à analyser et optimiser les résultats financiers d’une des principales compagnies aériennes canadiennes, j’ai jugé pertinent de faire un billet explicatif sur le sujet. Peut-être que ça pourrait être utile à plus d’un notamment, lors de l’achat de votre billet d’avion pour vos prochaines vacances.
Comment les compagnies aériennes gagnent de l’argent
L’objectif de toute entreprise est de faire de l’argent. Engager des couts pour produire un bien, et vendre ensuite à un prix supérieurs aux coûts et charges pour dégager un profit. Les compagnies aériennes n’échappent pas à cette exigence. Sauf qu’elles ont deux particularités :
- Les produits qu’elles vendent (les voyages) ont une date de péremption : le jour du départ. Une place non vendue au jour du voyage est une perte nette pour les compagnies aériennes. Elles ont donc la pression de vendre leurs billets avant le jour J.
- Elles ont des couts fixes importants. Faire voler un avion nécessite des millions de dollars d’investissement : l’acquisition et la maintenance de l’appareil, les taxes, les assurances, les salaires des pilotes et hotesses, etc. sont engagés d’avance et sont incompressibles. Une simple modification ou anullation de vol entraine des coûts en plus énormes. Parce qu’elle ne peut pas ajuster ces coûts qui sont déjà engagés, le seul levier sur lequel une compagnie aérienne peut jouer est celui des recettes : remplir au maximum son avion tout en vendant ses billets au meilleur prix possible. Les compagnies aériennes donc mettent en vente des billets d’avion jusqu’à un an à l’avance, et mettent l’accent sur la maximisation du revenu généré par la vente des places. Comme dans toute activité économique la recherche d’équilibre en l’offre et la demande est l’objectif.
Dans le secteur aérien 3 stratégies sont utilisée par les compagnies pour optimiser leurs revenus.
- La segmentation de la clientèle :
- La variation du prix en permanence (dynamic pricing)
- La vente de plus de billets que de places (overbooking)
Segmentation : Tous les clients n’ont pas les mêmes exigences.
La segmentation de la clientèle est basée sur un constat : tous les clients ne sont pas prêts à mettre le même prix pour un voyage et n’exigent pas les mêmes services.
Il y a ceux qui sont pressés ou pas, ceux qui veulent le confort ou pas, ceux qui ont des bagages ou pas, ceux qui ont des enfants ou pas ceux qui sont flexibles sur les dates et horaires ou pas, etc…Les voyageurs d’affaires par exemple sont très flexibles sur le prix (c’est leur employeur qui paie de toute facons) mais très stricts sur les dates. Les voyageurs de loisirs ne sont pas flexibles sur le prix (le moins cher, le mieux c’est) mais le sont sur les dates.
Les compagnies aériennes essaient constamment de trouver un équilibre entre ces différents profils en jouant sur les tarifs afin de réaliser des profits. Pourquoi faire voler un avion rempli de passagers au prix moyen quand on peut faire payer beaucoup plus cher ceux qui le peuvent et beaucoup moins cher ceux qui n’ont pas les moyens ? La compagnie aérienne va donc segmenter la clientèle afin de pouvoir offrir à chacun le « juste prix ».
Les places dans l’avion sont donc segmentées pour répondre à différents besoins marketing et à différents types de clients : les agences de voyages, les businessmen, les voyageurs fortunés, les familles/groupes, et les voyageurs économes dont le principal critère est le prix !
La question qui se pose alors ensuite est : combien de places faut-il prévoir pour chacune de ces catégories dans l’avion? De plus, le problème se complique si l’on considère des escales : à quel moment accepter ou non une réservation B->C sur un trajet A->B->C (au risque de perdre par la suite une place sur A->C dans le même vol) ?
Toutes ces questions furent abordées par la compagnie américaine American Airlines dès les années 1950, qui fut l’une des premières à adopter le dynamic pricing, exemple d’application concrète des mathématiques dans la vie réelle.
Le dynamic pricing : variation du prix au cours de la vente
L’optimisation est une branche des mathématiques cherchant à modéliser, à analyser et à résoudre analytiquement ou numériquement les problèmes qui consistent à minimiser ou maximiser une fonction sur un ensemble de variables incertaines.
Le problème d’optimisation se pose dans de nombreux domaines où la demande est aléatoire et où il faut adapter les ressources en conséquence pour éviter le gaspillage (sil y a un surplus de ressources) ou la dégradation du service (s’il ya un surplus de demande). Par exemple : – combien de brancards et d’infirmières faut il ouvrir aux urgences d’un hôpital selon les jours de la semaine considérant la fréquence aléatoire du nombre de malades arrivant? Combien d’agents un centre d’appel de service à la clientèle doit-il avoir de disponibles selon les jours pour minimiser le temps d’attente considérant la frequence aléatoire des appels entrants ? Combien de plats la gérante d’un restaurant doit elle préparer à l’avance considérant la fréquentation aleatoire de son restaurant d’un soir à l’autre ?
Le secteur aérien a cause des montants en jeux, est un exemple typique d’application du problème d’optimisation : considérant la distribution aléatoire du nombre de personnes qui voudront voyager un jour J, la distribution aléatoire des moyens financiers de chaque personne, la distribution aléatoire de la météo et des prix du carburant, quel est le nombre minimum de billets à vendre dans chaque tranche de prix pour avoir 90% de chances de remplir l’avion 1 mois avant le départ ?
C’est pour résoudre ce problème que les prix des billets sont fixés et modifiés plusieurs fois par jour ou semaines, selon le principe barbare du « yield management » , c’est à dire un ajustement en temps réel des prix en fonction de variables comme l’offre en volume sur le marché (nombre de places disponibles à cet instant), des prix de la concurrence, et de la demande (basée sur l’historique des voyages passés, du nombre de requêtes dans les moteurs de recherche, etc…). S’y ajoutent des dizaines paramètres plus ou moins importants et tout aussi incertains comme le prix du kérosène, la stabilité politique du pays de destination, la météo, etc.
Des programmes informatiques extrêmement complexes, prennent en compte des milliers de paramètres. Il serait prétentieux d’affirmer connaître leur fonctionnement précis, mais nous pouvons en dégager deux règles fondamentales :
- Si un avion se remplit plus vite que le scénario l’avait prévu… les prix des billets augmentent.
- Si un avion se remplit moins vite que le scénario l’avait prévu… les prix des billets baissent.
Les compagnies savent par exemple qu’elles doivent avoir vendu 80% des billets de leurs avions sept semaines avant le départ pour avoir une chance d’être complets le jour J, d’où une très grande variation due aux ajustements du « yield management » dans la période de 70 à 50 jours avant le décollage.
Les compagnies low-cost cassent les prix quelques jours avant le décollage s’il reste de la place, pour remplir à tout prix leur avion.Les grosses compagnies baissent plus difficilement leurs prix (pour ne pas accoutumer le voyageur à attendre le dernier moment pour acheter son billet).
Il existe un autre domaine où le capitalisme et la concurrence sont rois… la bourse ! Les traders utilisent beaucoup d’outils mathématiques, d’indices ou de tendances. Ils ont développé de nombreux outils, plus ou moins simples, pour prédire l’évolution du cours d’une valeur boursière.
Il est possible de faire un parallèle entre les données fondamentales de la bourse et l’évolution des prix des billets d’avion :
Cours d’une valeur ==> prix d’un billet
Volume de transaction ==> évolution du nombre de sièges vendus
Historique d’un cours ==> historique du prix du billet d’avion
Pourquoi donc vendre plus de billet qu’il n’y a de places dans l’avion ?
La question du surbooking est classique et revient souvent.
La raison pour laquelle les compagnies vendent des billets en trop est simple : Chaque passager a une probabilité de ne pas se présenter à l’embarquement le jour du départ. Une personne qui réserve un an à l’avance un billet pour un vol long-courrier, a une probabilité de 7% de ne pas monter dans l’avion le jour J (accident, changement de conjoint, de travail, maladie, décès… etc). Une personne qui réserve son billet 1 mois avant le départ a une probabilité de seulement 1,3% de ne pas monter dans l’avion (retard de dernière minute, problème de passeport ou de visa, etc…)!
D’un autre côté, un petit nombre de passagers peut avoir absolument besoin de voyager à la dernière minute, et prêt à payer le prix fort pour avoir une place à tout prix. Une annulation d’un autre vol par exemple peut créer une demaine soudaine quelques heures seulement avant le départ.
La majorité des compagnies anticipent ces annulations/réservations…et jonglent avec les probabilités. Ainsi, le nombre de réservations en vente pour un volsera toujours légèrement supérieur au nombre de places disponibles (environs 5% en plus).
Si tous les passagers qui ont réservé se présentent effectivement le jour du vol (ce qui arrive rarement), les passagers en surnombre sont dédommagés financièrement (surtout les plus flexibles) pour prendre un autre vol. En général il n’est pas nécessaire de sortir de vos gongs si vous vous retrouvez sur un vol surbooké. Vous êtes dans votre droit et la compagnie ne peut pas vous obliger à prendre un autre vol. Vous n’avez qu’à choisir calmement entre négocier pour une forte compensation (si vous êtes flexibles), ou bien d’insister pour conserver votre place. La compagnie sait déjà probablement à quelle catégorie vous appartenez car selon la classe, la date et le prix auquel vous avez acheté votre billet, elle sait si vous êtes relativement flexible ou pas.
Comment obtenir des tarifs bon marché ?
On en vient à la conclusion de ce billet. Il n’est pas impossible de trouver un billet à bas prix. Il y a plein de manières de trouver le billet d’avion au prix idéal, et sans trop rentre dans les détails, voici mon conseil de base que je m’applique à moi-même lorsque je voyage (surtout sur les destinations lointaines) :
Soyez flexible sur les dates/lieux et voyagez hors saison.
Pour éviter d’être parmi ceux qui ont payé le plus cher leur billet, vous devez faire preuve de souplesse.
Un an à six mois avant le départ, la compagnie propose les prix « normaux » pour chaque catégorie de voyageur des plus bas (flexibles) au plus cher : Eco Minimum, Eco Standard, Eco Premium, Business….
Environ trois mois avant la date prévue de départ, la compagnie commence à examiner les tendances de remplissage pour déterminer si elle doit offrir des tarifs vraiment très bas ou maintenir ces prix « normaux ». C’est à ce moment que la compagnie peut lancer des promos, ou augmenter ses prix (selon le taux de remplissage du moment).Le meilleur moment pour réserver votre vol est donc environ 6 à 8 semaines avant le départ, ou environ trois mois avant si vous voyagez pendant la haute saison.
Si vous réservez dans le mois précédant le départ, vous êtes à la merci de la compagnie aérienne. À ce moment-là, elle sais que vous êtes très certainement obligé de voyager et que vous n’avez plus trop de choix, donc elles vous font payer le prix fort. D’ailleurs seules les catégories chères du type « Eco premium » ou « Business » sont encore disponibles à la vente à ce moment-là, même si l’avion est presque vide.
De plus, il est toujours moins cher de voler en milieu de semaine que le week-end, car la plupart des gens voyagent le week-end et les compagnies aériennes ajustent leurs prix en conséquence. Les prix sont également moins chers si vous prenez l’avion juste avant ou après une période de vacances, tout comme les vols décollant tôt le matin ou tard la nuit sont moins chers parce que moins de gens veulent voyager à ces heure-là (qui veut se lever tôt ?!).
En plus d’être flexible sur les dates, vous pouvez être aussi flexible sur la destination où vous voulez vous rendre. Parfois, ça peut être beaucoup moins cher de prendre un vol Toronto-Londres sur une compagnie normale à 500$ puis faire Londres – Bruxelles avec une compagnie low-cost à 100$; que d’acheter un billet direct Toronto – Bruxelles à 900$. Il m’est ainsi arrivé d’économiser sur un voyage Canada-Cameroun en achetant séparément deux billets (Canada-France et France-Cameroun) dans deux compagnies différentes.