La 1ere fois que j’ai mis les mots sur la façon dont mon histoire familiale avait influencé ma personnalité, fut à la lecture de l’œuvre d’Ivan Boszormenyi-Nagy, psychiatre américain célèbre pour avoir été un de pionniers de la psychogénéalogie. C’est lisant son livre « Invisible loyalties » (Loyautés Invisibles) que j’ai mis pour la 1ère fois les mots sur certaines de mes angoisses existentielles et que j’ai compris que non seulement j’étais un enfant parentifié, mais aussi que parentification était un processus tout à fait normal et courant.
Quand l’enfant devient le parent malgré lui
La parentification de l’enfant peut se définir comme le processus interne à la vie familiale qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation dans un contexte socioculturel et historique précis et qui le conduisent à devenir un parent pour ses parents ou pour l’ensemble de sa famille ou pour sa fratrie. C’est un processus impliquant toujours plusieurs générations qui plonge ses racines dans les générations des grands-parents et dont les conséquences peuvent toucher les générations à venir.
Nous en tant qu’africains, sommes particulièrement touchés par ce phénomène. Il n’est en effet pas rare de constater qu’en Afrique, une personne dotée d’une certaine prédisposition à la réussite dans la vie endossera malgré lui le rôle d’ « espoir de sa famille », de « pilier ». Chez les uns, c’est l’intellect précoce prédisposant à poursuivre de grandes études et à intégrer l’élite de la société. Chez d’autre, c’est un certain esprit de débrouillardise et de courage les prédisposant à se lancer dans des projets risqués comme ces voyages clandestins vers l’Europe à travers le désert et la mer méditerranée. Chez d’autres encore, ce sera un talent artistique particulier qui les propulsera dans une carriere à forte rénumération dans des domaines comme le sport ou la musique. Toujours est-il que beaucoup de parents projettent sur leurs enfants à potentiels leurs propres besoins non satisfaits et rêves non réalisés. De plus, des événements de vie tels que les départs/divorces, les décès, la place d’aîné, les traditions (comme le rite de la succession), etc, viennent amplifier et rendre encore plus factuel la parentification. Cette « charge invisible » est bien souvent source d’angoisse et de questionnement existentiels chez le jeune enfant. Mais la santé mentale étant relativement inconnue dans les cultures africaines, on s’interroge rarement sur les conséquences d’une telle charge sur les individus concernés.
La parentification n’est jamais pathologique en soi. Dans de nombreuses circonstances, elle est tout à fait fonctionnelle et permet à un jeune enfant de s’identifier à une image du bon parent qu’il pourra devenir. S’il s’agit d’une expérience transitoire ou si la reconnaissance de ceux dont il s’occupe vient en retour valoriser l’enfant, cela peut devenir un facteur de maturation tout à fait acceptable. L’enfant peut y gagner une légitimité constructive et apprendre à aborder des situations difficiles.
Par contre, si la parentification se construit sur une longue durée et, surtout, si elle n’est pas reconnue, elle peut devenir un véritable fardeau pour l’enfant qui n’a plus le temps de s’occuper de lui-même et de recevoir. En terme de « donner et recevoir », l’enfant donne plus que ne le voudrait son âge, ses compétences, ses besoins et ses désirs. Il est alors envahi par la culpabilité de ne pas réussir à devenir le « bon parent » dont sa famille a besoin et de ne pas rester le « bon enfant » qu’il aurait aimé être et dont les parents ont aussi besoin.
Ivan Boszormenyi-Nagy dans son bouquin définit les 3 rôles de l’enfant parentifié dans lequel je me suis reconnu et dans lequel j’ai reconnu beaucoup de mes amis :
1. le rôle de soignant : l’enfant mature trop précocement qui s’occupera de son ou ses parents ou de sa fratrie, ou plus largement de sa communauté;
2. le rôle de sacrifice ou de bouc-émissaire : l’enfant qui renoncera à son autonomie et à ses projets personnels; et adoptera un rôle de victime ou de rebelle afin de réunifier sa famille ;
3. le rôle neutre : l’enfant qui se montrera conforme et ne réclamera rien, mais qui derrière cette façade peut se débattre dans des sentiments de vide, d’épuisement émotionnel ou de dépression.
Quand l’enfant parentifié devient adulte
La parentification ne concerne pas que la relation familiale. Plus tard, une fois devenu adlte, elle peut persister et se manifester au sein d’un couple ou n’importe quelle autre relation interpersonnelle de façon plus ou moins équilibrée. Cette situation peut être bien vécue par les partenaires qui peuvent se trouver satisfaits que l’un d’eux apparaisse comme « plus mature » que l’autre. Mais dans la plupart des cas ça devient un élément favorisant la rupture, faute d’équilibre relationnel.
La personne parentifiée devenu adulte aura tendance à se conduire vis-à-vis de son partenaire soit comme un enfant craignant d’être abandonné, critiqué, blâmé ; soit (plus habituellement de par mon expérience) avec concescendance et paternalisme comme un parent extrêmement exigeant et blâmant.
La personne devenue adulte, semble épuisée d’avoir trop donné de sa personne et ne plus rien avoir à donner. Ce qui se traduit par une mise à distance, un refus d’implication personnelle dans les situations où donner du sien est important pour soi et pour l’autre.
Une autre conséquence de la parentification est que l’enfant une fois adulte, devient extrêment indépendant. Ceci parce qu’ayant grandi sans adulte fiable vers qui se tourner, il a rapidement appris qu’il est plus sûr de devenir autonome et de ne compter sur personne d’aute que soi-même, plutot que de faire confiance aux autres et attendre une quelconque aide.
Les conflits interpersonnels les plus puissants auxquels il doit faire face sont liés à l’appréciation de l’équité du « donner et du recevoir ». Dans ses relations, l’un pense ne pas recevoir assez alors que l’autre se sent épuisé de toujours trop donner sans reconnaissance. Chacun se sent lésé et attend les efforts réparateurs de l’autre. Il est alors important de se rappeler que les conflits ne doivent pas ramenés à des luttes et des enjeux de pouvoir, mais plutôt à un problème d’équité du « donner et recevoir ». Mais hélas, on est trop englué dans les conflits pour y penser.
Au final, l’enfant parentifié une fois adulte va devenir l’une ou l’autre de ces deux traits de personnalité :
- Soit l’adulte-enfant : c’est à dire un adulte qui n’a pu être enfant, qui a été adulte avant l’âge (prise de responsabilité importante pour la famille non reconnue et sans soutien de la part de ses parents). Adulte il a tendance à se conduire comme l’enfant qu’il n’a pas été mais un enfant blessé extrêment sensible avec lequel il est difficile de se réconcilier.
- Soit le soignant : C’est à dire un enfant qui s’est adapté à l’idée de donner sans recevoir. Adulte, il conserve cette position de prendre soin des autres et de leur donner.
Obtenir et conserver la confiance d’enfants autrefois parentifiés représente un immense défis pour ceux qui les cotoient. Mais l’effort en vaut la peine car fois qu’ils libérés de ce traumatisme (par la thérapie ou le development personnel), ce sont des personnes aux attentes extremement simplistes et qui ont une incroyable capacité à donner et à recevoir au monde.
Bonjour, Cet article m’a beaucoup touché et décrit bien ce que l’enfant parentifiée que j’ai été au Cameroun et les conséquences me hantent aujourd’hui. Etant bientôt maman de trois enfants, j’aimerais me sentir moins épuisée par la vie pour être la meilleure mère pour mes enfants, mais j’éprouve des difficultés relationnelles et ai vraiment du mal à trouver du sens à ma vie. Je voulais vous remercier de ce poste. Je vais continuer à lire votre blog que j’ai découvert il y a deux ans quand nous nous apprêtions à déménager au Canada.
Bonjour Miriam,
Heureux que mon post vous ai apporté un plus. La parentification est en effet quelque chose de très courant. Et on en sort rarement indemne.
J’espère que vous vous plaisez au canada (si vous êtes) 🙂