[Billet invité] Le Peuple Bamiléké du Cameroun et son rapport au Pouvoir. Part 2

Ceci est la 2eme partie du thread précédent de @rêveur_incompris sur l’histoire des Bamilékés et leur rapport au pouvoir politique au Cameroun. Si vous n’avez pas encore lu la première partie, le vous commande vivement de commencer par là.

Nous avons déroulé précédemment les événements avant et après l’indépendance du Cameroun, les deux guerres auxquelles furent mêlés les populations Bamilékés, leur rapport avec le 1er président Amadou Ahidjo, l’arrivée de Paul Biya au pouvoir, la tentative de coup d’État contre ce dernier et la montée du tribalisme qui s’en est suivi en même temps que la crise économique a la fin des années 80.

Les années 90 approchent au Cameroun de Paul Biya. Avec elles, la soif pour le multipartisme s’intensifie, et les élections de 1992, les toutes premières de l’histoire du pays à l’ère du multipartisme, approchent à grands pas. Celles ci seront décisives dans l »histoire du Cameroun.

V- Les Élections présidentielles de 1992

Nous avons vu tôt que dès la fin des années 80, Une supercherie appelée « complot Bamiléké pour prendre le pouvoir » créée de toute pièce par l’élite politique et intellectuelle (majoritairement Béti) pour freiner la prospérité et limiter l’influence des Bamilékés au Cameroun. Et les choses vont empirer. En 1987, les Bamilékés achetant de plus en plus de propriétés à Yaoundé et étant de plus en plus prospères en dépit de la crise économique, l’élite politique Béti au pouvoir va utiliser un mécanisme machiavélique pour tenter de les stopper. En 1987, Le ministre de l’urbanisme et de l’habitation Ferdinand Oyono, va alors ordonner la suspension des immatriculations foncières au profit d’allogènes (comprenez « étrangers ») pour plusieurs années. Vous l’aurez compris, cette mesure vise les entrepreneurs Bamilékés installés dans la région. L’élite politique Béti va multiplier ainsi les mesures et les actions contre les Bamilékés. En 1990 le régime décide la destruction du collège Monthé à Yaoundé suite à un banal accident. Son propriétaire étant originaire de l’Ouest, celle décision est vue comme une attaque directe et énième tentative du régime de limiter l’influence économique Bamiléké.

Ces événements vont avoir un effet désastreux. Les Bamilékés face à ces attaques, commencent à retirer leur argent des banques publiques, craignant pour leurs affaires. Et au lieu de s’agenouiller devant le régime, les Bamilékés vont commencer à soutenir les mouvements d’opposition, eux qui ne voulaient plus faire de politique. La crise économique bat son plein, la pauvreté et la misère sont à leur paroxysme, Paul Biya est au plus bas dans l’opinion publique. C’est dans ce contexte de crise sociale en 1990 que, l’avocat maitre Yondo Black et neuf autres personnes sont arrêtés à Douala, soupçonnés d’avoir voulu créer un parti politique (vous avez bien lu! Il faut rappeler que c’était encore l’époque du parti unique. Donc il était illégal ne serait ce que de songer à un autre parti). Leur procès commence le 7 janvier devant le tribunal militaire. La tension à Douala est à son summum, le peuple qui en a marre de la politique de Biya soutien Me Yondo Black et ses camarades, et demande le multipartisme. Début avril, Yondo Black est condamné à 3 ans de prison.

En Mai 1990, un nouveau parti politique, le SDF (Social Democratic Front) est créé et parmi ses fondateurs un certain John Fru Ndi, anglophone du Nord Ouest, libraire de profession et ancien membre du RDPC. Le 26 Mai 1990 est organisée le meeting inaugural du SDF à Bamenda, dans le Nord Ouest. Le régime envoie les forces de l’ordre pour l’empêcher, mais ceux-ci se retrouvent dépassés par le nombre de participants. Les forces de l’ordre ouvrent feu, bilan 6 personnes sont tuées par balles. Le peuple est outré.

John Fru Ndi

Le 27 décembre, le Dr Célestin Monga publie dans la presse une lettre ouverte à Paul Biya. Cette lettre incendiaire extrêmement critique contre Biya et sa politique, est publiée dans le journal « Le Messager ».

Célestin Monga, Pius Njawe (Le directeur de publication du Journal) et plusieurs employés du journal sont arrêtés. Leur procès est fixé pour le 10 janvier 1991. L’artiste et activiste Lapiro de Mbanga alors extrêmement populaire, distribue des tracts dans tous les marchés de Douala demandant aux populations de se rendre au palais de justice le jour J pour manifester. Le gouverneur fait monter la tension. Le jour du procès des hélicoptères survolent le palais de justice et les forces de l’ordre dispersent la foule au gaz lacrymogène. Sous la pression nationale et internationale Monga et Njawe écopent « seulement » de 6 mois de prison avec sursis.

Le 2 Avril 1991, sous la direction du « Parlement », un groupe d’étudiant proche du SDF, la contestation gagne l’université de Yaoundé. Ils réclament une « conférence nationale souveraine ». C’est à dire une remise à plat des institutions et un débat ouvert sur l’avenir du pays. Une contestation durable s’installe à l’université de Yaoundé. Les forces de l’ordre à la demande du chancelier de l’université, s’installent alors durablement sur le campus. Des milices proches du pouvoir sont créées et font régner la terreur sur le campus. Les étudiantes proches du ‘’parlement’’ sont violées. Les chambres sont pillées, les étudiants tabassés.

Sous une ambiance électrique, débute le mouvement  de grève populaire, les fameuses « villes mortes » lancées par Camille Mboua Massock en Avril 1991. La population de Douala suit massivement le mouvement. Toutes les activités sont arrêtées en guise de protestation civile. Plus de commerce, plus d’école, plus de taxis, rien! Le parlement à l’université de Yaoundé lance également le « campus mort ». Le mouvement est suivi lui aussi. Ils réclament tous une conférence nationale souveraine. Le 6 Mai 1991, pendant une réunion du parlement à l’université de Yaoundé, les forces de l’ordre font irruption dans l’amphithéâtre et c’est le chaos. Plusieurs étudiants sont tués. C’est le drame. L

Augustin Kontchou Kouomegni alors ministre de l’information et de la culture, et originaire de l’Ouest (Baham) déclarera devant les médias « je vous dis qu’il y a eu zéro mort », son affirmation ne convainquit personne. Il entre alors dans la légende sous le surnom populaire de « zéro mort ».

A partir de Mai 1991 les villes mortes deviennent systématiques. « Biya must go » est le slogan des villes mortes. Le 27 juin 1991, Biya déclare « la conférence nationale est sans objet pour le Cameroun » il ajoute alors la phrase qui deviendra légendaire « le Cameroun c’est le Cameroun ». Une façon de dire que ce n’est pas parce qu’il y a un vent  de liberté et des conférences nationales partout en Afrique, qu’il doit en avoir une au Cameroun. Pour dénigrer les villes mortes qui sont systématiques dans 7provinces sur les 10 que compte le Cameroun, il ajoutera « tant que le Yaoundé respire, le Cameroun vit ». Bravo Biya!

Devant l’ampleur du mouvement, et la pression internationale, Biya cède finalement du terrain mais refuse toujours d’organiser la conférence nationale. Son mandat se terminant en avril 1993, il crée la surprise et décide d’organiser les élections anticipées pour octobre 1992. Son objectif étant alors de surprendre l’opposition pour les empêcher de s’organiser avant lesdites élections. Biya grâce une coalition corrompue, fait voter les règles du scrutin à l’assemblée nationale dans la précipitation. Il opte pour un scrutin à un tour, et refuse la création d’une commission électorale indépendante. L’élection sera organisée par le ministère de l’administration territoriale (donc sa propre administration. lol). Dans l’opposition, ils sont 5 candidats face à lui : Jean Jacques Ekindi, Bello Bouba Maigari, Amadou Ndam Njoya, John Fru Ndi, et Emah Ottou. Biya avait avancé la date du scrutin dans le seul but empêcher cette opposition de s’organiser autour d’une candidature unique. Ahhhhhh Biya ce fin stratège !

Son bilan à la tête du Cameroun étant désastreux et sa popularité au plus bas, Biya met en place ce que je nomme une « campagne ethnique ». Chacun de ses partisans fera campagne dans sa région d’origine. Joseph Mboui, d’ethnie Bassa fait campagne pour lui dans la Sanaga Maritime chez les Bassa. Hamadou Moustapha et d’autres nordistes font la même chose dans le grand Nord. Édouard Akame Mfoumou et toute l’élite politique Béti font pareil dans Centre-Sud, ainsi de suite. Concernant les Bamilékés, ceux-ci étant déjà un groupe ethnique important au Cameroun à cette époque sont extrêmement fâchés contre le pouvoir à cause des attaques répétées de l’élite politique Béti dont ils étaient victimes. La majorité des Bamilékés ont cessé d’être neutres politiquement et ont rejoint l’opposition. Le Pr. Maurice Kamto est alors directeur de campagne du candidat John Fru Ndi. Il appelle tout le monde à voter John Fru Ndi dans une allocution prononcée à Bafoussam. Son appel est massivement suivi.

Mais les intimidations se sont déjà intensifiées. Du jour au lendemain, l’entreprise de fabrication de yaourts Saplait (qui était installée à Yaoundé) est fermée par le régime. Son propriétaire Bamiléké est soupçonné de financer l’opposition. Les menaces et les intimidations sont devenues la norme au Cameroun. Le lobby Béti « Essingan », appelle constamment les populations Béti à chasser les Bamilékés de leur région. Des tracts demandant aux Bamilékés de « rentrer chez eux » sont distribués partout dans le centre-sud. Les commerçants Bamilékés sont menacés de mort ou de destruction de leurs biens s’ils ne votent pas Biya. Biya va ainsi instrumentaliser l’élite politique Béti, qui va à son tour va manipuler le peuple Béti, pour permettre à Biya de conserver son pouvoir. Le régime Biya sème le tribalisme et la xénophobie dans le but de diviser les camerounais et leurs faire peur (On dirait 2018!).

Biya ne fait que 3 meetings : à Monatélé, Garoua, et Bafoussam; promettant le chaos à chaque meeting s’il n’était pas réélu (le pays étant en plein dans les divisons ethniques créées par lui-même, il se pose en sauveur et en rassembleur. Ah le fin stratège!). Les ministres bamilékés Augustin Kontchou et Tchouta Moussa, battent campagne pour lui dans l’Ouest Cameroun. Tâche difficile car la région étant devenue très majoritairement pro SDF. Le candidat Biya arrive le 12 Septembre 1992 à Bafoussam pour son meeting. Dans son discours, Biya tente alors une opération séduction pour faire baisser les tensions, il prononce cette phrase choc « le Cameroun se fera avec l’Ouest ou ne se fera pas » Le public l’acclame.

Le régime joue à fond les manipulations tribales. Le parti au pouvoir en parlant du SDF, brandit le spectre d’un complot anglophone et Bamiléké pour s’emparer du pouvoir politique. L’autre candidat de l’opposition, Bello Bouba Maigari, Haoussa du Nord  n’est pas épargné. Selon le régime, il voudrait reprendre le pouvoir pour venger ses frères du Nord morts pendant le Putsch raté de 1984. Biya ayant un bilan économique désastreux, voilà comment se passe la campagne électorale au Cameroun en 1992. Le tribalisme et la haine sont utilisés tout azimut pour faire peur. Biya va s’appuyer sur les fonctionnaires pour sa propagande. Rappelons que l’administration publique à l’effectif pléthorique depuis 1984, était alors largement dominée par les Béti. Il va leur faire croire que si Fru Ndi ou n’importe quel autre non-Béti arrive au pouvoir, ils perdront leurs postes. Le ministre de l’administration territoriale Gilbert André Tsoungi, va donner l’ordre aux fonctionnaires « d’employer tous les moyens pour assurer la victoire à hauteur de 60% à Biya ».

Avec cette stratégie basée sur la campagne ethnique, chaque candidat obtient facilement le soutien des siens. Le repli identitaire est alors profond. Biya obtient le soutien du Centre, du Sud et de l’Est. Fru Ndi celui de l’Ouest, de Nord-Ouest, du Sud-ouest et le Littoral. Bello Bouba Maigari celui du Nord, de l’Adamaoua, et de l’Extrême-Nord. L’élection approche à grands pas.

Dimanche 11 Octobre, a lieu l’élection. Dès la fin du scrutin les grands journaux décomptent les voix. À 2h du matin, joint depuis Nkongsamba, Samuel Éboua S.G à la présidence sous Ahidjo déclarera avec sa voix caractéristique «Che bon ! Nous chavons gagné partout ; che fini pour Bihâ».

Lundi 11 Octobre 1992 : Les journaux publient les résultats récoltés toute la nuit:

-John Fru Ndi est en tête avec 38%  des voix

-Bello Bouba second avec 31,5% des voix

-Paul Biya est 3e avec 24,78%

Vous lisez bien Paul Biya est 3e ! L’opposition exulte de joie! Un vent d’espoir souffle sur le Cameroun.

Quand on analyse le poids démographique et ethnique de chaque région à l’époque, ce résultat semble plus que logique.

Fru Ndi prudent se déclare vainqueur 10 jours plus tard, le 21 Octobre 1992.

Mais le 23 Octobre, le président de la cour suprême Dipanda Mouelle qui reconnaît pourtant des fraudes, déclare Paul Biya vainqueur avec 39,9% des voix  et Fru Ndi second avec 35,9%. John Fru Ndi formule immédiatement un appel au peuple à manifester pour revendiquer ses votes, qui sera publié dans le journal « le Messager » de Pius Njawe.

L’appel de John Fru Ndi à contester les résultats est massivement suivi. Des manifestations pour contester les résultats sont immédiatement organisées à Douala, Bafoussam et Bamenda. L’état d’urgence est déclaré à Bamenda. La violence est extrême.

Le pays est au bord de la guerre civile. Le lobby Sudiste « Essingan » appelle une fois de plus à détruire les commerces appartenant aux Bamilékés. Les maisons et commerces appartenant aux Bamilékés sont incendiés à Ebolowa et Sangmélima (ça ne vous rappelle rien?).

L’Allemagne et les USA suspendent leurs relations diplomatiques avec le gouvernement du Cameroun. Fru Ndi est mis en résidence surveillée à Bamenda, sa résidence est quadrillée par les militaires. Le prix Nobel de la paix, Desmond Tutu se rend personnellement à son domicile à Bamenda, pour tenter une médiation.

Après 3 mois de contestations Fru Ndi finit par céder et renonce à la revendication de sa victoire. Pour le peuple c’est la déception. Presque une année de contestation, de pertes financières, de villes mortes, de nombreux morts…n’auront servi à rien. Paul Biya est toujours président. Le peuple camerounais est amèrement déçu de la politique. ;(

Les villes mortes terminées, la chasse aux sorcières continue pour les entrepreneurs Bamilékés sous forme de règlement de comptes cette fois. Feu Kadji Defosso Joseph par exemple, qui avait financé la campagne de Fru Ndi, voit son entreprise UCB subir un redressement fiscal musclé. Les entrepreneurs Bamilékés sont persécutés par l’administration qui ne leur pardonne pas leur soutien au SDF. C’est à ce moment que le ministre Bamiléké Augustin Kontchou Kouomegni alias « zéro mort » va jouer un rôle décisif. Il va alors organiser des réunions avec toutes les élites économiques Bamilékés et leur recommander de rejoindre le RDPC, le parti de Paul Biya. Il leur promet que par ce geste ils auront enfin la paix avec le régime de Paul Biya et pourrons continuer leurs affaires en paix.

La grande majorité des élites Bamilékés acceptent ce deal, et s’engagent à convaincre les populations de l’Ouest de voter désormais pour le RDPC. Augustin Kontchou est gracieusement récompensé pour son action par Paul Biya. Il sera nommé au poste prestigieux de ministre d’État chargé des relations extérieures en 1997. Dès les élections de 1997, l’Ouest devient un bastion de plus du RDPC grâce au travail de son élite qui n’a eu d’autres choix de le rejoindre, et surtout à la stratégie de Kontchou. Et comme Biya sait remercier ses alliés (la confiance sur la compétence), certains opérateurs économiques recevront d’importantes exonérations d’impôts. D’autres obtiendront par une politique protectionniste, la garantie d’un quasi monopole sur certaines activités économiques.

C’est ainsi que nait une nouvelle classe d’élites Bamilékés proches de Biya. Dans cette élite pro Biya, impossible de distinguer ceux qui soutiennent Biya par conviction, ceux qui le font par opportunisme, et ceux qui le font en apparence le jour pour avoir la paix tout en soutenant l’opposition en douce la nuit. Cela contribue pour certains à accentuer la méfiance et les thèses complotistes vis-à-vis des bamilékés.

Le thread étant devenu trop long, je vais m’arrêter là, je continuerai ce thread dans un blog, il y a tellement d’événements que je n’ai pas pu aborder ici, que j y aborderai. Je parlerai aussi de l’équilibre régional qui est une chimère de Biya pour manipuler les ethnies.

Pour conclure, sachez qu’à chaque élection (1992, 1997, 2004, 2011, 2018), Biya utilise la même stratégie. Il fait monter le tribalisme pour semer la peur, et promet le chaos s’il n’est pas réélu, se positionnant alors en seul garant de la paix au Cameroun. Que ce soit les Béti, les Nordistes, les Douala, ou les Bamilékés, etc… nous sommes tous devenus les otages de cette stratégie et de ce régime.

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