Aissatou est une de ces africaines comme en en rencontre par millier en Europe. La trentaine, bien dans ses bottes, elle affichait une élégance vestimentaire particulièrement typique d’Afrique de l’ouest. Je l’avait rencontré sur un stand à une manifestation culturelle organisée par la diaspora Malienne, et j’avais appris par des moyens détournés qu’elle était arrivée en occident sous une fausse identité après que la boutique de tissus qu’elle tenait au marché de Dakar ai fait faillite. Elle travaillait maintenant dans une maison de retraite parisienne (comme la plupart des jeunes femmes immigrées sans réelle qualifications) où elle s’occupait de personnes âgées.
– Qu’est ce qui s’est vraiment passé au Mali? lui-demandais-je en faisant semblant de m’intéresser à son stand.
– les chinois…répondit-elle mélancoliquement.
– Quoi les chinois?
– Les chinois nous ont assassiné.
– Explique…
– Ok! Je tenais un commerce de pagnes et tissus dans un marché populaire de Bamako. L’entreprise qui m’employait possédait plusieurs boutiques de Textile dans tout le pays. Celle que je gérais en faisait partie. Notre plus grand client était une grande multinationale implantée dans le pays qui nous commandait tous les ans des tissus pour habiller son personnel à diverses occasions : journée de la femme, fête du travail, ect… Pour des raisons évidentes cette société représentait près de 75% de notre chiffre d’affaire. Et à chaque commande, ils exigeaient des prix toujours plus bas. Ils étaient obsédé par les couts ces gens! comme des vampires assoiffés de sang. Une nouvelle commande allait bientôt arriver, et nous savions que nous devrions gagner ce marché. Sinon, on allait se retrouver au chômage. Or notre situation financière était déjà tendue à cause de la flambée des couts d’importation des tissus depuis la Hollande et de la douane par le port d’Abidjan.
– Damned! Et quelle était votre stratégie?
– Jouer la transparence. Montrer nos comptes détaillés à notre clients. on avait fait des graphes qui montrait l’évolution des couts de transport et de douane ces dernières années. On avait modélisé l’impact sur notre « bénéfice net»… putain, on avait même un tableau où l’on montrait à notre client qu’on avait accepté d’opérer dans le rouge pour étancher leur soif de sang…la transparence la plus totale… genre : « Bordel regardez les gars… c’est pas des histoires qu’on vous raconte » .
– Vous étiez sincères quoi! Et qu’est ce qu’il a dit votre client?
– Attends! Je lui montrais que nous avions déjà déplacé une partie de nos entrepôts en cote d’ivoire, que nos coûts étaient déjà les plus bas du marché. Que nous avions optimisé au maximum ce qui était « optimisable »… qu’ils ne trouveraient pas mieux que nous sur le marché. Et tu sais ce qu’il m’a répondu cet enfoiré ?
– Non…
– Il a sourit et m’a répondu “Vos calculs sont faux! Vous ne devriez plus commander en Hollande mais en Chine! Et vous auriez du passer par le port de Dakar, pas celui d’Abidjan. c’est plus cher”. Il nous a fait le suprême affront de prendre un planisphère et de nous montrer l’itinéraire particulier auquel il pensait. Ce connard connaissait tous les tarifs douaniers des ports Africains. Il a conclu son cours magistral par un coup de poignard là où ça fait mal : « Vous ne faites pas bien votre boulot les amis! Vous n’êtes pas des professionnels ».
– Wow… vous êtes repartis comme vous êtes venus.. ?
– Non… en venant négocier, nous avions l’idée de repartir avec une légère croissance de nos volumes de commandes. En repartant nous partions avec la promesse qu’ils déclineraient de 60% la première année… pour ne plus rien représenter l’année suivante. Eux, ils avaient fait leur « homework»… ils avaient déjà préparé la solution de remplacement. Un importateur chinois implanté à proximité. Et puis quoi?
Cette histoire m’a fait énormément réfléchir. Elle m’accompagne tous les jours même. Pourquoi ? D’une part elle confirme la formidable emprise de l’Empire du Milieu sur le business continental , mais, plus que cela, elle montre de manière beaucoup plus profonde, que la globalisation est une force en perpétuel mouvement vers le « better », « faster », « cheaper » et tous les autres « –er » du Collins Cobuild. Un tapis roulant géant sur lequel tu peux, toi aussi, courir…mais qui possède les particularités de ne jamais s’arrêter, de voir sa vitesse sans cesse augmenter et d’accueillir toujours plus de participants.
Bienvenue dans la Globalisation 3.0. La Globalisation 1.0 (XIXème– début du XXème) voyait les pays se concurrencer les uns les autres. Pendant la Globalisation 2.0 (XXème), ce sont les entreprises multinationales qui se sont faites la guerre. Aujourd’hui (et pour longtemps) c’est chacun pour sa peau… l’ingénieur congolais, tu es en concurrence directe avec les geeks des banlieues de New Dehli. La Globalisation 3.0 c’est toi contre les autres. Mano a mano. No rules. Sauf la sacro-sainte loi qui donne prééminence aux intelligences supérieures. Celle-ci est aussi immuable que celle de la gravité.
La Chine se tourne aujourd’hui vers l’Afrique… on dit de ce continent qu’il est le berceau de l’humanité. Il est en tout cas le lieu où est enseigné cette sagesse ancienne mais ô combien contemporaine :
« Tous les matins en Afrique, une gazelle s’éveille. Elle sait qu’elle doit courir plus vite que le plus rapide des lions ou elle finira dans son ventre. Tous les matins en Afrique, un lion s’éveille. Il sait qu’il devra courir plus vite que la moins rapide des gazelles ou il mourra de faim. Quand le soleil se lève, peu importe que tu sois un lion ou une gazelle : t’as intérêt à courir »
Le commerce d’Aissatou est mort de faim. Trop lent.
Aujourd’hui ce sont les petits commerces qui meurent. Demain il y a aura du sang humain par terre… d’ailleurs ça a déjà commencé. Et pas seulement à cause de la famine et du chômage (je ne parle pas ici des jeunes sans qualifications). Je parle de la caste des « diplomés ».
Wanted. Dead or alive.
P.S : si tu veux te joindre au troupeau des gazelles les plus rapides. C’est par ici.