Amour et attachement. Enseignement du Dalaï Lama

Extraits de son livre Leçons d’amour : Comment élargir le cercle de nos relations affectives

La distinction entre l’amour et l’attachement

Vibrer d’un authentique amour demande de savoir le différencier de l’attachement. L’amour ordinaire et la compassion sont en général liés à l’attachement. Ils sont la plupart du temps motivés par l’égoïsme. L’intérêt que vous manifestez envers certaines personnes est inspiré par l’aide ponctuelle qu’elles vous apportent, à vous et à vos proches…

L’amour et la compassion demeurent sous l’emprise de l’attachement. Ils ne peuvent être étendus à vos ennemis, seuls vos amis, vos parents, votre femme et vos enfants peuvent en bénéficier. L’amour et la compassion qui se développent en tenant compte de l’importance des autres et de leurs droits atteindront même les personnes qui souhaitent vous nuire. Dans mon enfance, j’étais très arbitraire en matière d’amour et de compassion. Quand je regardais deux chiens se battre, ma sympathie se dirigeait vers le perdant. Entre deux insectes, je soutenais le plus petit et j’étais taché intérieurement contre le vainqueur. Mon amour et ma compassion n’étaient pas objectifs.

Combattre l’attachement ne signifie pas rejeter ce qui est indispensable: se nourrir, avoir un toit et dormir. Il faut simplement s’éloigner du superficiel. Ce qui pousse à s’exclamer: « C’est merveilleux! » « Je dois le posséder! » « Oh, si je pouvais l’avoir! » Si votre vie est emplie de telles pensées, la futilité et l’argent vous attirent au détriment du développement spirituel. Les émotions perturbatrices se multiplient. Vous allez au-devant des ennuis. L’inquiétude vous ronge et perturbe votre entourage. Vos soucis s’aggravent alors que vous pensez avoir des solutions pour répondre aux émotions perturbatrices. Vous n’obtiendrez aucun bien-être tant que vous vous trouverez sous la pulsion de l’attachement.

Le meilleur moyen de surmonter ces attachements aux effets nocifs consiste à saisir la réalité profonde de la vie: « Ce qui a été rassemblé peut éventuellement se disperser. » Les liens entre parents et enfants, frères et sœurs, ou amis ne sont pas indestructibles. Les amis les plus sûrs se séparent malgré l’amour qu’ils se portent. L’erreur est de considérer ces circonstances comme intrinsèquement agréables. L’attachement se construit sur cette mauvaise perception et cause toujours de la douleur.

La chance ne dure pas, il est dangereux de s’habituer à ce que tout aille bien. Oublier la loi du changement est dangereux. Vivre au présent sans se préoccuper de l’avenir interdit tout engagement dans la pratique de la compassion envers les autres pour les aider à atteindre l’illumination. L’impermanence est salvatrice. La véritable nature des choses est de disparaître. Le changement, vu sous cet aspect, n’est plus un traumatisme quand il se produit, ainsi en sera-t-il de la mort.

La naissance des émotions conflictuelles

La convoitise et la haine apparaissent avec l’idée que l’être est matière. Nous pouvons nous toucher et sentir notre corps, voilà la substantialité du « moi » et du « vous ». Nous créons immédiatement une séparation entre nous et les autres. Cette distinction va justifier l’attachement à ce corps physique et provoque l’apparition de la colère…

Les êtres humains qui donnent une substantialité au « moi » accordent une consistance matérielle aux biens qu’ils possèdent. La force de ce processus génère une discrimination entre soi et les autres, et incite à s’attacher aux objets. Comme le seau que l’on jette et remonte du puits, nous errons alors de la meilleure à la pire renaissance au cours du cycle de l’existence.

Il est fondamental de vérifier personnellement que les êtres et les choses semblent exister, d’une part, d’une manière intrinsèque, et, d’autre part, selon leur apparence extérieure. Car cela est faux. Face à une personne ou un objet attirant, deux phénomènes se produisent : un attachement à soi-même et un attachement à l’objet ou à la personne en question. L’attachement provoque un sentiment de plaisir. Un acte négatif en découle, qui pèsera dans le cycle des renaissances. Tant que vous nierez la véritable nature des êtres et des choses, vous imaginerez qu’ils existent de manière inhérente. Et vous n’aurez pas longtemps à attendre avant que la haine et le désir n’entrent en scène.

La nature de l’attachement

L’attachement augmente le désir en vous laissant insatisfait. Le désir est soit fondé soit irrationnel. Seul le désir irrationnel est une souffrance qui repose sur l’ignorance. Nous avons tous besoin d’argent pour vivre. Il est normal de chercher à subvenir à ses besoins matériels. La nécessité, le désir ou la satisfaction, en ce cas, ne sont pas des souffrances. Vous pouvez aussi désirer atteindre l’altruisme, la sagesse et la libération. Ce sont d’excellents désirs; en effet, tout développement humain surgit d’un désir, et ces aspirations ne se transformeront pas en souffrance.

Par exemple, une forte affinité avec tous les êtres vivants, associée au désir qu’ils accumulent tout le bonheur possible, est raisonnable car vous êtes impartial. Ce désir concerne tous les êtres vivants. En revanche, l’amour qui se limite à ses amis et aux membres de sa famille est influencé par l’attachement de l’ignorant. Il est partial.

Le désir contre-productif est un attachement irrationnel aux choses. Il aboutit inévitablement au mécontentement. Avez-vous vraiment besoin de tout cela? La réponse sera sûrement négative. Ce genre de désir est insatiable et demeure insatisfait. Il crée des émotions conflictuelles qui mènent à la souffrance. Vous pouvez vous opposer à ce genre de désir.

Au cours des premières étapes de la pratique bouddhiste, la distinction entre le désir utile et le désir conflictuel est délicate. Le pratiquant devrait éprouver de l’amour et de la compassion. Mais il est dans l’ignorance en considérant que lui et l’objet de son amour et de sa compassion sont deux entités intrinsèques. Au début de la pratique spirituelle, l’ignorance peut faciliter le cheminement vers l’illumination. Si l’ignorance et l’attachement n’ont pas totalement disparu au moment où vous commencez à cultiver l’amour et la compassion, il serait déraisonnable de s’arrêter là. La meilleure solution consiste à poursuivre. Il ne suffit pas de détourner votre esprit de l’objet en question pour triompher de cet attachement. Il faut s’entraîner pour comprendre ce qui s’oppose à l’ignorance.

Si les choses matérielles vous attirent, il vaut mieux délaisser tout ce qui encourage l’attachement. La satisfaction de nos envies matérielles est utile, mais elle n’entre pas dans la pratique spirituelle. Nous devons renoncer aux biens auxquels nous sommes attachés, et opter pour le progrès spirituel qui peut se poursuivre sans limites, même dans la vieillesse.

Au début, il est difficile de savoir si le désir est conflictuel ou non. Mais, après mûre réflexion et analyse, vous identifierez progressivement l’ignorance et les émotions perturbatrices. Votre pratique s’épurera de plus en plus. L’attachement est déraisonnable. Pendant un laps de temps très court, il vous recentre strictement sur vous-même. Plus puissant est l’attachement, plus vous êtes partial et obnubilé par vous. La moindre chose vous dérange. Le détachement réclame la fin de cette forme de mesquinerie. Mais, à l’inverse, cela ne signifie pas qu’il ne faut s’intéresser à rien. Nous avons besoin d’une grande variété de choses. Pour avoir l’esprit plus ouvert et holistique, il faut savoir se détacher. L’attachement représente un obstacle et emprisonne l’esprit. Un élève qui se consacre à un seul sujet est vulnérable. De nombreux thèmes doivent être étudiés…

Le processus courant d’un esprit tourné vers la vie mondaine est résumé et désigné par les « les huit préoccupations mondaines »:

  • L’espoir du plaisir / la crainte du déplaisir
  • L’espoir du gain / la peur de la perte
  • L’espoir de la louange / la peur du blâme
  • L’espoir de la renommée / la crainte de la disgrâce

Le malheur s’abat sur vous et vos amis lorsque le déplaisir, la perte, le blâme et la disgrâce surgissent. À l’inverse, ils vous incitent parfois à vous réjouir lorsqu’ils touchent vos ennemis. Ces malheurs résultent des actions de chacun. L’amour supérieur et la compassion ne se fondent pas sur des actes, mais sur un fait essentiel : tous les êtres cherchent le bonheur et refusent la souffrance comme vous. Et ainsi, nous sommes tous égaux. Des actes sont négatifs, d’autres positifs. Ceux qui les accomplissent sont des êtres humains qui aspirent au bonheur. Nous devons nous placer sous cet angle de vue. L’acte est accessoire puisqu’il est incertain, négatif ou positif. La seule constante est le souhait ferme des êtres humains d’être heureux et de s’affranchir de la souffrance.

Lorsque vous rêvez ou que vous vivez un événement pénible, votre « moi » est immédiatement sollicité. Il ne s’agit plus du Tibétain, de l’Américain ou de toute autre nationalité, du bouddhiste, de 1 ‘hindouiste ou de quoi que ce soit, juste du « moi », de l’assise fondamentale de l’être humain. À ce niveau primordial, nous sommes égaux. Un petit enfant ne s’inquiète pas de religion ou de nationalité, d’être riche ou pauvre. Il ne cherche qu’à jouer avec les autres. Dans la prime enfance, nous avons le sens de l’égalité entre les hommes. Plus nous grandissons, plus nous créons des distinctions et quantités de critères artificiels accessoires qui recouvrent peu à peu l’essentiel. Notre intérêt fondamental pour l’homme diminue. Voilà le problème.

La convoitise et la haine peuvent s’attaquer à l’amour pour le faire disparaître. Le désir conflictuel qui influence l’amour apporte la haine à laquelle il l’ oppose. La jalousie s’installe avec sa cohorte de problèmes. L’avidité n’est pas nuisible à première vue, mais elle apporte en réalité de nombreuses nuisances. C’est pourquoi développer le sens de l’égalité doit précéder le processus tendant à répandre l’amour. Après cela, qu’une personne soit malveillante ou bienveillante importe peu, l’essentiel est qu’elle partage avec vous la recherche du bonheur et la libération de la souffrance. Ce désir est commun à tous les êtres sensibles. Votre prise de conscience peut se partager avec d’autres pour rendre plus stable le fondement de votre amour. À partir du moment où vous avez admis que nous sommes tous semblables, l’amour a une telle stabilité qu’il ne vacille plus, à la merci du moindre événement.

Au cours de ma pratique, si je considère, par exemple, une personne qui torture des Tibétains dans ma patrie, je ne m’arrête pas à son mauvais comportement ni à son attitude nuisible. Je vois un humain qui, comme moi, souhaite le bonheur et refuse la souffrance. En réalité, le pauvre homme se plonge volontairement dans la douleur en gâchant délibérément son propre bonheur. Lorsque je choisis de regarder la vie sous cet angle, ma seule devise est « amour et compassion ». Je ne répondrais pas par l’amour si je voyais en cet homme un ennemi qui nuit aux Tibétains.

Nous sommes trop attachés à notre existence. C’est la clé qui ouvre la porte à la haine et à la convoitise. Nous voulons croire à la permanence, penser que tout est là pour l’éternité. Nous investissons trop dans ce qui est temporaire et accordons trop de valeur aux biens matériels. Pour remettre en question notre fonctionnement, il faut s’intéresser à l’impermanence des choses: nous ne sommes que de passage en ce monde. L’éminent expert tibétain Tokmay Sangpo (XIIIe-XIVe siècle) confiait:

  • La pratique de l’altruiste est de réduire l’emprise de cette vie,
  • Se séparer des amis intimes qui nous ont accompagné toute une vie,
  • Abandonner derrière soi la richesse et les objets acquis par l’effort,
  • Et la conscience-hôte quitte le corps-auberge.

Peu importe la durée de la vie, nous mourrons, au plus tard, vers l’âge de cent ans. Nous quitterons cette précieuse vie humaine. Mais la mort peut survenir à n’importe quel moment. La vie se désagrégera quelle que soit notre prospérité. Aucune richesse ne peut ajourner la mort. Les biens accumulés d’une vie entière ne seront d’aucun secours le jour de votre trépas. Vous abandonnerez tout. À cet égard, l’homme et l’animal sont égaux au moment de la mort.

Vous vous accrochez à l’idée que les biens sont utiles car vous réagissez sous l’emprise de l’attachement. Mais la réalité est différente. Essayez de trouver des défauts à l’objet que vous convoitez dès qu’il commence à poindre. Il est très difficile d’échapper au processus de l’attachement. La meilleure méthode consiste à détourner votre attention de l’objet ou à le laisser physiquement derrière vous.

L’attachement à un ami est parfois si fort qu’il dérange la personne aimée au moment de sa mort. S’agripper à ses mains, verser des larmes en l’ embrassant, gémir à ses côtés sont des comportements qui empêchent le mourant d’atteindre un état d’esprit favorable. Tout l’encourage à refuser de quitter cette vie. Un véritable ami se doit de créer un environnement propice aux pensées vertueuses, en lui rappelant certains enseignements religieux, en lui parlant avec une grande douceur. Le mourant doit se souvenir que le karma élabore de nombreuses formes étranges pendant le processus de la mort. Il doit savoir qu’il est vain de s’attacher à leurs aspects agréables comme de s’irriter contre leurs apparences désagréables.

Une forte détermination

Le désir d’apporter du bien-être à autrui doit être cultivé afin de se renforcer de plus en plus. Il ne s’agit pas d’attachement, puisque aucune émotion conflictuelle n’interfère dans cette aspiration. Ce désir immense surgit du détachement.

Sans devenir égocentrique, un ego solide est indispensable. Votre volonté doit être puissante pour accomplir le bien. Un puissant « moi » est indispensable pour soutenir le vœu d’aider les autres, où qu’ils soient dans l’univers. Un « moi » trop faible n’y parviendra pas. Ce désir est raisonnable car il ne s’agit pas d’attachement. Il doit être mis en pratique. Les désirs incorrects vont se raréfier pour être écartés car ils sont mesquins.

Donner un sens à sa vie

Relâcher votre emprise sur la vie ne signifie pas arrêter de prendre soin de vous-même et des autres. Lorsque je suggère que le corps possède une nature de souffrance, je ne dis pas qu’il faut le négliger. Votre corps est indispensable pour accomplir de grandes réalisations…

Au cours de chaque vie du cycle des existences, la prospérité et les ressources illimitées finalement s’altèrent. Quant au corps, il doit être considéré comme fortuit. Il nous permet de conduire les autres au bien-être. Il doit donc être entretenu sans sentiment d’attachement. Vous devez protéger ce corps sans réfléchir aux vies futures.

Le Bouddha a prescrit d’abandonner les extrêmes. S’infliger des sévices excessifs est interdit. Dans La Recommandation de la Guirlande de joyaux, Nâgârjuna préconise:

  • La pratique n’est pas juste.
  • En mortifiant le corps
  • Vous n’avez pas renoncé à blesser autrui
  • Et vous n’aidez pas les autres.

Si vous n’entretenez pas votre corps, vous êtes nuisible pour les milliers d’organismes qui y vivent. Il est aussi déconseillé de s’entourer et de vivre dans un luxe extrême. Les mets délicieux, les habits princiers, les résidences fastueuses et le mobilier dispendieux doivent s’apprécier sans provoquer d’émotions perturbatrices telles que l’attachement, la fierté ou l’arrogance. Il faut dominer certains sentiments comme la convoitise ou l’attachement. Les facteurs extérieurs ne sont, en eux-mêmes, ni bons ni mauvais. L’avidité peut aussi s’exprimer pour des nourritures quelconques, des vêtements simples, etc.

Le contentement représente un élément clé. La plus grande richesse est de savoir quantifier ses besoins matériels pour les assouvir à bon escient. Le milliardaire insatisfait reste malheureux. Avide, il ne cesse de désirer encore et encore plus. Vous êtes ainsi plus pauvre que riche. Si vous recherchez la possession de biens matériels, vous ne serez jamais satisfait. Un tel désir ne sera jamais comblé. Un texte bouddhique fait référence à un monarque qui gouvernait le monde entier. Cela ne lui suffisait pas: il songea à s’attaquer au monde des dieux. Finalement, son orgueil a causé l’anéantissement de ses vertus.

Le bonheur n’existe pas sans satisfaction. Essayez de trouver l’équilibre qui convient avec la nourriture, les vêtements et un domicile adéquats. Les relations sexuelles ne sont pas interdites aux laïcs. Mais un goût exagéré pour la sexualité mène au désastre. Chaque chose doit être accomplie avec mesure et sincérité. Une trop forte libido et l’addiction à la sexualité peuvent être un prélude au divorce.

La tolérance est indispensable. Alors que le Bouddha méditait à la recherche de l’illumination, des forces démoniaques extérieures sont apparues pour le tourmenter. Il n’utilisa ni l’agression ni des menaces belliqueuses. Il médita en cultivant l’amour et la compassion et c’est ainsi qu’il anéantit les démons.

Le renoncement au monde ne signifie pas l’abandon. Après avoir généré le désir raisonnable que les autres soient heureux, votre humanité se renforcera. En étant plus détaché du monde, vous ne niez pas votre humanité. Au contraire, vous êtes encore plus humain. Le Bouddha a introduit des vœux d’altruisme distincts pour les laïcs et les moines, parce qu’il avait prévu que les pratiquants vivraient en famille. Le but ultime du bouddhisme est d’aider les autres. Pour l’appliquer, vous ne devez pas vous soustraire à la société.

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